jeudi 30 octobre 2008

91 - 100

91 - Le masque

C'est parce qu'il exerce une fascination vénéneuse, avec son sourire diabolique, malicieux, féminin, avec sa chevelure luxurieuse, maléfique, empoisonnée, avec son air infiniment malin, qu'on ne peut s'empêcher de fixer ce masque.

Comme par défi.

Cette face ensorcelée effraie et attire en même temps. L'on voudrait détourner les yeux de cette méchante vipère. L'on aimerait éviter ce regard superbement venimeux. Mais c'est plus fort que soi : on ne peut s'empêcher de fixer cette espèce de lune contagieuse.

Et on la fixe avec haine.

C'est une veilleuse méchante. Blonde et cynique. Belle et cruelle. Laide et érotique. Une charmeuse qui sème le malaise partout où elle passe. Elle intrigue les plus indifférents. Mais surtout elle tourmente les imaginations les plus sensibles : cette ricaneuse est éloquente. Trop peut-être. Et l'on se prend à s'interroger sur ce qui la fait si soigneusement, si sérieusement ricaner...

Il n'est pas très agréable de soutenir ce regard venu d'on ne sait quelles ténèbres, et pourtant on le soutient. On déteste ces yeux d'infernale femelle, et on les trouve magnifiques cependant.

Cette séductrice a décidément le charme malveillant des criminelles amantes.

92- L'art poétique chez les amateurs

Non l'amateur n'est pas (selon moi) celui qui aime, mais celui qui est médiocre, celui qui ne connaît que partiellement et superficiellement les choses. La distinction entre poètes amateurs et grands poètes classiques est fort simple : le poète amateur n'est pas et ne sera jamais édité. Ou alors chez la "Pensée Universelle". Tandis que le poète classique trône glorieusement à la "Pléiade". Conclusion logique et nécessaire : l'auteur non édité est donc vain. L'auteur qui a réussi à prendre place dans la "Pléiade" est quant à lui un excellent auteur. Hypocrisie, cynisme ? Certes pas. Simple lucidité.

D'ailleurs tous ces amateurs ne rêvent-ils pas de se faire éditer ? C'est bien la preuve que le succès de librairie et l'argent sont reconnus comme les signes de la réussite littéraire. Nous sommes ici dans une logique capitaliste : le succès passe d'abord et avant tout par l'argent. Regardez Proust par exemple : il ne cessait d'envoyer ses manuscrits à des éditeurs, sans cesse refusés au début. Tous ces auteurs, aussi noble soit leur message, aussi grande soit leur plume, n'ont finalement qu'une idée en tête : se faire éditer pour vendre. La vente de l'oeuvre, c'est la reconnaissance officielle, c'est le but final recherché, par-delà le discours de l'oeuvre en elle-même. C'est cela qui légitime une oeuvre littéraire : l'édition, la vente. Conclusion : je ne crois en la valeur d'un texte que lorsqu'il est édité chez les grands éditeurs.

93- A ceux qui ont tendance à trop encenser les Grecs

Diogène ne devait pas sentir très bon. Et puis surtout il n'a pas inventé le langage binaire que je sache...

Tous ces Grecs antiques dignement "entogés" et sempiternellement engoncés dans leurs pensées d'airain tiennent leur prestige du fait qu'ils ont vécu dans une Grèce mythique et surtout qu'ils sont tout bêtement morts, "panthéonisés", statufiés par les siècles et les ouvrages scolaires. Qui vous dit que l'inventeur du langage binaire ne sera pas demain "l'entogé" du vingtième siècle ? Grâce au langage binaire, qui vous dit qu'une nouvelle pensée estimable et illustre ne va pas naître ? Et si nous accédions à la Vérité grâce au langage binaire ? Pourquoi la pensée informatique ne serait-elle pas un instrument crucial permettant de toucher au fond du Mystère ? On dit que la vérité suprême ressort des mathématiques.

Soyez un peu moins impressionnés pas ces philosophes grecs qui ont déjà le grand tort, au moins à mes yeux, d'être morts, ensevelis, le bec définitivement cloué. On peut vivre sans problème majeur en ignorant tout des leçons de Diogène. La preuve : je ne l'ai jamais lu.

94 - Du fiel ludique

Sur les listes, je réponds fièrement ceci à mes détracteurs sans gloire :

C'est vrai que je cherche à faire parler de moi à tout prix. En bien ou en mal, peu importe. Je n'existe qu'à travers vous. Pardonnerez-vous ce nombrilisme déplacé, cette insolence gratuite, cette vanité révoltante ? Je suis malheureux, c'est vrai. Je suis un grand frustré. Je ne jouis que dans le regard courroucé des autres parce que sans les autres ma vie est vide. J'ai besoin du regard des autres pour me sentir exister.

Mon existence est si vide, si creuse, si vaine... La vie d'un oisif est loin d'être enviable : il n'y a strictement rien à faire du matin au soir. Et c'est bien connu, l'oisiveté est mère de tous les vices. Je m'adonne donc avec ferveur au vice. Et mon vice actuellement, c'est précisément de jeter le trouble sur les listes.

En fait et pour être sérieux, je teste le degré de résistance mentale de mes contemporains. Je cherche également l'esprit rare apte à la réflexion, l'esprit assez éclairé pour voir en moi autre chose que ce simple trublion. Ceux qui réagissent mal sur cette liste prouvent aux yeux de tous :

- leur manque d'humour (ce qui n'est certes pas un signe d'intelligence)

- leurs limites psychologiques

- leur immaturité mentale

- leur impulsivité stérile

- leur manque de courtoisie intellectuelle

Je crois que c'est ma liberté qui vous révolte : je suis ce que vous n'avez jamais été capables d'être. En effet, je me suis affranchi du prosaïsme, de l'illusion, de la vanité.

95 - La littérature et moi

A propos du "Bateau Ivre", remplacez donc les termes "criards" et "Peaux-Rouges" par n'importe quels autres termes un tant soit peu pittoresques, et vous obtiendrez les mêmes réactions admiratives et béates chez les lecteurs dénués de sens critique. Et les mêmes explications savantes des grands docteurs en littérature. La tête couverte d'un beau chapeau, le coeur léger et la plume lourde, Rimbaud pouvait tout à sa guise semer de glorieuses sornettes au vent de la Littérature : pourvu que son nom soit apposé au bas de ses oeuvres, elles feront toujours l'objet d'études universitaires prétentieuses et stériles. En ce domaine Rimbaud est promis un bel avenir, n'en doutons pas.

Vous voulez en savoir plus sur mes goûts en littérature ? Je suis assez inculte je le reconnais, mais je vais tout de même vous dire ce qui m'agrée et ce qui me désenchante. Mon avis sera assez limité, puisque mes lectures en ce domaine sont également limitées.

Le "Bateau ivre" de Rimbaud m'ennuie profondément. Homère également m'ennuie profondément avec son interminable et soporifique Odyssée... Lamartine, Musset, Vigny, et Nerval parfois, savent toucher mon coeur esthète, comme c'est d'ailleurs le cas pour la plupart de mes contemporains. Rien d'exceptionnel en cela. En tant qu'êtres humains ou simples lecteurs, nous sommes tous sensibles, sans exception. Là encore, rien d'extraordinaire dans le fait d'être touché par quelque auteur de choix. C'est bien pour cette raison que les grands auteurs sont de grands auteurs.

Hugo est à mes yeux un véritable génie qui domine toute la littérature française. Par sa simplicité, sa capacité à atteindre l'universel, il s'impose à moi (et à bien d'autres) comme un modèle. Proust sait m'ennuyer avec fruit. Et c'est un véritable plaisir que de rechercher ce délicieux ennui et de perdre mon temps en si bonne compagnie. Daudet père m'est particulièrement agréable, léger, poétique : il n'est pas prétentieux, comme peut l'être par exemple Sartre. Kafka est divinement fou et sa folie trouve en moi un certain écho. Maupassant est mon péché mignon : je le dévore comme un fruit suave absolument pas défendu. Balzac me pèse beaucoup : c'est un plat de résistance bien gras, bien trop consistant pour mon estomac délicat. Une sorte de boulet à traîner dans mon esprit. Flaubert écrit très bien, il est parfait dans le mode "gueuloir". Baudelaire est diablement talentueux. Enfin un bon poète. Céline m'est parfaitement indigeste, non seulement dans le fond mais surtout dans la forme. Cette écriture haletante, hachée, m'est absolument insupportable. C'est du hachis Parmentier pour moi, un compost de mots et de ponctuations, de la véritable bouillie littéraire. Shakespeare est le roi dans son domaine, épique et pittoresque : c'est le prince du théâtre. Molière m'amuse, mais je n'en fais pas un César pour autant. Camus est anecdotique : un fétu de paille, presque une fumée dans la tempête de la littérature. J'ai dû en oublier quelques-uns.

Tous ces avis ne sont bien entendu que des avis personnels.

96 - Les enfants : l'ignominie incarnée

Rappelons-nous qu'un enfant endormi est un spectacle vil, obscène, dégoûtant. Un enfant, c'est une machine à excrétions, un moulin à vomissures, un robinet à urines, un puits à diarrhées, une source de puanteurs. Les enfants endormis trament dans leurs songes d'infâmes intrigues contre les adultes et leur corps couve quelque répugnante bile que ces démons, une fois réveillés, s'empresseront de vous éjecter au visage tel un fiel issu des enfers : vomissures, diarrhées, flatulences, éructations ou autres urines dont je parlais plus haut. Débarrassez-vous de vos enfants avant qu'ils ne prennent le pouvoir et vous rendent l'existence impossible.

97 - La Fanchon restera à la ferme

Fanchon est un personnage imaginaire de mon cru. C'est une jeune fille (tantôt sophistiquée, tantôt fruste selon les aventures et les drames que je lui invente) qui est toujours enceinte, et toujours dans des situations délicates vis-à-vis de sa famille. Fille d'un couple de vieux paysans, elle vit dans la ferme de ses parents où tout est archaïque, décalé, périmé : objets, état d'esprit, idées. Dans l'épisode ci-dessous elle est enceinte et va vite apporter la nouvelle à ses parents. C'est cruel, effarant, saugrenu, caricatural jusqu'à l'ignoble. Cette "triste" situation est récurrente chez elle, mais à chaque fois je traite le sempiternel sujet dans une mise en scène différente. Voici donc une version "standard" de la situation. Ici la Fanchon est cultivée, lettrée, délicate, raffinée, alors que ses parents sont grossiers et vulgaires (ils le sont d'ailleurs toujours dans ces histoires).

- Père, Mère, voyez mes flancs sacrés, ils couvent le fruit inestimable d'un pur amour. Oui, mes chers parents, sachez donc aujourd'hui que votre fille bien-aimée prolonge la vie, de par la grâce d'un suprême et magnifique élan de tendresse échangé avec l'élégant Monsieur le Vicomte de la Marotière, fils du châtelain de la ville voisine, dont vous n'ignorez pas, j'en suis sûre, l'excellente renommée quant à la vigne...

(Le père)

- Ta gueule, putassière de vache à merde ! Où que t'as été encore te foutre la matrice, hé vachalait de mes deux !

- Père, je vous en prie, n'offensez point mes chastes oreilles avec vos propos abominables !

(La mère)

- Vi, vi, vi, sale putassière ! Tu nous dis de la fermer, pendant que t'as les boyaux remplis d'grossesse, et pis qui c'est qui va torcher le cul merdeux de ton calemiasse après, hein ?

- Mère, je n'entends rien à vos paroles éhontées. Changez votre langage, de grâce, chacun de vos mots m'est une insulte à titre personnel, et une offense pour toutes les mères du monde qui...

(La mère)

- Ferme-là bourriquesse ! Y a le fils du riche emplumé qui vient t'engrossir la matrice, et pis après tu viens nous chialer sur les couilles que t'es dans le purin ! Putain ! T'avais qu'a pas te foutre la tripe du nobliau dans le cul ! Merdasse de crotassière de pute à purin de merde ! Tu m'entends, dis ?

- Mère, détrompez-vous. Je ne viens nullement me plaindre auprès de vous, ainsi que vous semblez me le reprocher avec cette verve impure qui vous est si coutumière... Au contraire, je suis venue louer le divin amour humain qui génère la vie et...

(La mère)

- Ta ta ta ta ! T'es en train de nous embrouiller, pouffiassière de cul à merde ! Moué j'y voué la putain qui ramène son boyau rempli à la ferme pour qu'y s'fasse une place dans l'étab'à vache, ouais ! Pas vrai l'père ?

(Le père)

- Couillonnasse, bien sûr que j'y voué la mêm'chos' qu'toué, la mère ! Not'fille, c'est une grosse puttassière de première qui s'est fait bien bourrer le boyau du cul pour qu'elle nous ponde dans quê'qu' mois un affreux bougnoule d'bicot d'brin d'merdeux qu'arrêtera pas d'bouffer la ferme à quémander toutes les nuits du lait, et pis pt'êt aussi avec d'la gnôle ! Hein, la Fanchon, t'avais l'intention d'foutre ma gnôle dans l'biberon de ton miochard ?

- Père, je n'ai que faire de vos infâmes liqueurs d'ivrogne ! Je ne demande rien de tout cela, vils géniteurs ! Je ne désire qu'un peu de reconnaissance pour l'amour qui se meut en mon sein, rien de plus.

(La mère)

- Pétasserie d'ânesse de trivache à la con ! J'va te clouer ton clapet à jacasseries, et pis j'vas te foutre du fumier dans le fond d'ton cul, comme ça ta larve elle sortira au moins pas pour rien, pisque l'odeur d'la fumure lui donnera le goût de la terre et de la trime paysanne, et pis on pourra vite le mettre aux champs, bon sang ! Aller, l'père, viens m'aider à foutre la Fanchon dans l'fumier, on va la bourrer avec par tous les trous pour être bien sûr qu'après ça elle nous chiera un vrai péquenaud, et pas un fainéant d'nobliau qu'y pense qu'à sauter des sales fumelles en rut !

- Père, Mère, soyez dignes je vous en conjure, je...

CE QU'IL ADVINT DE LA PAUVRE FANCHON.

La fanchon elle a pas eu d'chance. Dix ans ont passé. A présent on peut la voir trimer comme une dingue aux champs, les pieds dans la fange, le front baissé jusque dans la poussière terrible des chemins tout autour de sa ferme natale, quelque part dans un coin reculé de la France. Le petit Alphonse-Gaspard-Théodule (ce sont ses grands-parents qui l'ont ainsi nommé) quant à lui, c'est une loque, un être fruste, attardé mental, analphabète, plus sauvage qu'humain. Pitoyable depuis les cheveux jusqu'aux pieds, en passant par le fond des yeux. La ferme, les grands-parents, l'éducation lamentable l'ont cassé, brisé à jamais, éteint tout à fait. Pauvre Fanchon. Et dire qu'un jour de plus de liberté, et elle était à New York, dans un appartement sur la cinquième Avenue, avec un contrat de mannequinat international en poche et tous les grands couturiers du monde qui la suppliaient de travailler pour eux... Maintenant c'est une loqueteuse qui trime aux champs de quatre heures du matin en hiver jusqu'à la minuit, et de trois heures du matin en été jusque minuit passé, sans dimanche ni repos ni salaire ni même de nourriture correcte. Elle se régale d'épluchure de pomme de terre et de pelures de pommes, agrémentées de quelques coups dans la figure de la part des deux rustres, juste pour pas qu'elle "traînasse" trop à ronger ses épluchures, alors qu'il y a tant de travaux à la ferme.

98 - Lettre envoyée aux PDG de radios généralistes (RMC, RTL, Europe 1)

Monsieur,

Croyez-vous, Monsieur, faire honneur à l’esprit, au bon goût, à la civilisation, en faisant diffuser, outre des émissions bas de gamme, de la réclame de la plus grande vulgarité ?

Réclame pour véhicule, réclame pour cosmétique, réclame pour chaîne de grands magasins… Vulgarité, obscénité, indignité. Inaudible, en ce qui me concerne. Il faut dire que je ne me prends pas pour un veau, Monsieur. Vous qui en êtes peut-être un, vous prenez sans doute les gens qui écoutent votre radio pour un troupeau de bovins, et pourquoi pas de porcins... J’ai le courage de dire, Monsieur, que si vous n’êtes pas personnellement convaincu de la valeur de cette radio, alors vous êtes un dévoyé, un proxénète de la culture qui vend aux autres ce qu'il ne consomme pas lui-même. Mais si vous êtes sincèrement convaincu d'être le PDG d'une bonne radio, alors permettez-moi de vous dire que vous n’êtes qu’un veau de plus. Un veau à la tête d’une radio nationale sans doute, mais un pauvre et minable veau pas plus digne que le restant du troupeau.

Il faut être un veau Monsieur, pour écouter sans broncher le contenu des émissions de cette radio généraliste. Le pire, c’est la réclame. Pour être convaincu par ces boniments bien vulgaires, bien obscènes, bien populaires, bien outranciers, il faut faire partie de la RACAILLE. Qu’est-ce que la racaille ? Le peuple, tout simplement. Et qu’est-ce que le peuple ? Ca n’est rien du tout, ou si peu. Je suis très méprisant, hautain, impitoyable lorsque je songe que des êtres humains, mes semblables, peuvent adhérer à tant de bassesse. Je n’ai nulle indulgence pour ce peuple français qui tourne un bouton pour se vautrer dans l’ineptie.

La misère de l’esprit pourrait en cette fin de siècle être toute résumée à travers les radios généralistes. Le ton, le contenu, la forme et le fond, les aspirations et les racines, tout transpire l’aspect minable, misérable, insignifiant et vulgaire des esprits impliqués : animateurs, journalistes, annonceurs et auditeurs.

Je m’interroge aujourd’hui sur les fondements, les valeurs et les certitudes humaines et sociales. En fait on peut fort bien être à la tête d’une radio nationale, être reconnu par l’ensemble de la population, inviter des personnalités politiques, et n’être rien du tout. N’en êtes-vous point la première preuve vivante, et votre radio n’en est-elle pas, elle, l'autre preuve beuglante ? Vous n’avez pas mon estime, Monsieur. Et à moins que vous ne soyez définitivement un veau vous aussi, je sais bien qu’au fond, s’il vous reste une once d’intelligence, de dignité, d’esprit critique, vous me donnez raison.

Espoir ultime du triomphe de l’esprit sur la bêtise radiophonique.

99 - Seconde lettre envoyée aux PDG de radios généralistes

Monsieur,

Vous êtes à la tête d’une entreprise bien vile, et vous êtes méprisable. La vocation populaire, généraliste de votre radio est l’aveu secret de la réussite du label «mauvaise qualité». Les couleurs de la médiocrité sont portées très haut. Chez le peuple de veaux qui tend quotidiennement l’oreille vers votre station, l’ineptie a acquis ses lettres de noblesse. Et sur une mer de vaguelettes un vent modéré mais certain vous pousse vers votre île rêvée, qui est également le rêve commun des auditeurs avides de «trucs géniaux», de «salut, comment ça va ?», de «gens sympas» de «chouettes musiques», et autres pollutions verbeuses de la même espèce.

Vous êtes à la tête d’une entreprise d’aliénation des foules. Vous vous faites le complice d’un terrorisme culturel, insidieux et criminellement sucré. Comme une coupe de poison à effet progressif, une coupe bordée de miel. Sous les apparences de la légèreté, de la «bonne humeur», véritable argument-arme qui vous assure l’adhésion du gros des troupes populaires, vous blessez le bon goût, vous détruisez les véritables richesses de l’esprit, vous tuez l’élégance. A travers les ondes vous semez au vent de la mode, dans l’air du temps, tout autour de vous et à des centaines de kilomètres à la ronde des germes qui provoquent la dégénérescence des esprits, comme le ferait une méchante radio-activité sur des cellules exposées. L’activité de votre radio est hautement dangereuse, Monsieur.

Publicités au ton outrancier, de la pire vulgarité, politique de la moyenne, émissions bas de gamme (je veux dire populaires, ce qui revient au même), apologie de la «bonne humeur» bêtifiante, abrutissement sur tous les registres, promotion des arts mineurs, du cinéma commercial : derrière l’étendard sanctifié de la liberté d’expression tout est fait pour générer une implacable régression intellectuelle. Ce qui forme une agression mentale, un attentat psychologique permanents, le tout dilués dans la médiocrité culturelle générale déjà présente chez le peuple français qui somnole. Et tout passe, les veaux boivent le lait distillé par les ondes et beuglent avec les animateurs.

Cet odieux conditionnement quotidien des masses, ce nivellement des esprits vers le bas n’honorent pas vos fonctions, Monsieur. Je sais bien, votre station n’a pas pour vocation d’apporter la culture. Et c’est bien là qu’est le noeud de l’affaire. Sous prétexte de faire dans le divertissement, dans le généraliste, vous faites dans la basse culture, dans l’intellectualisme au rabais, dans la sensibilité la plus moyenne -qui est la plus grossière-, dans la pensée populaire (standardisée selon les critères du monde du show-business, généralement).

Bref, vous faites dans la nullité totale. Et le malheur, c’est qu’avec la dragée dorée de la référence aux valeurs ambiantes, vous avez l’assentiment de ceux qui vous écoutent, incapables de juger, de critiquer : ils sont à vous, ils ont même leur carte de fidélité greffée sur leurs neurones avachis. Ils engrangent scrupuleusement l’ineptie débitée et achètent la babiole proposée, que cette dernière soit une grosse voiture ou bien le contenu d'une gamelle pour chiens. La vulgarité triomphe sous votre règne, le verbiage étant la loi de votre maison.

Je vous suppose assez intelligent, assez cultivé, Monsieur, pour ne pas adhérer à l’esprit de cette radio qui déblatère sous votre insigne autorité. Pour être directeur d’une si importante maison (sur le plan des responsabilités humaines et économiques), il faut être largement au-dessus d’une certaine culture de masse. Ici vous êtes le serviteur de votre porte-monnaie et de la cause commune, c’est votre métier. Sur ce plan uniquement tout est louable, honorable. J’ose simplement espérer que vous n’êtes pas intimement convaincu par la grotesque orientation de votre station de radio, même si vous n’avez par ailleurs nul scrupule pour en être le cerveau. Ce que je vous reproche, c’est de contribuer à répandre la peste culturelle, au nom de votre réussite sociale.

A moins que vous ne soyez pas plus apte à la pensée que les auditeurs dociles et peu exigeants de cette radio que vous dirigez, je vous propose de répondre objectivement à mon courrier. L’univers du baratin et du superficiel ne parvient pas, Monsieur, à me contaminer. Aussi je vous serais reconnaissant, si vous en avez l’honnêteté, de me tenir un discours à l’opposé de l’éloquence radiophonique ordinaire, sotte, vaine, niaise.

Je méprise profondément la bassesse de votre fonction, et me félicite de ne point ressembler au peuple de bovins qui tète à votre antenne. Je vous dis que vous avez mon mépris. Rendez-le-moi bien, je vous en prie.

100 - Aux plus sots de mes lecteurs qui se reconnaîtront

Constatez donc ma détresse : je tente d'éduquer mes semblables, de leur ouvrir les yeux sur la véritable culture, mais ces hérétiques fomentent contre moi quelque traître projet de diffamation ! On m'a prêté d'indignes propos, d'odieux discours que jamais -vous en êtes tous témoins- je n'ai tenu. Pas une fois on a pu trouver sous ma plume honorable des termes offensants tels que ceux employés par certains de ces chers détracteurs. Ces infamies que l'on me prête à tort n'ont été proférées que par ceux qui ont mal interprété ma pensée jusqu'à en détruire parfois totalement le sens. Mettez au service de la belle cause vos raison et sensibilité moyennes que je sais honnêtes, aimables, et persuasives...

Dites-leur, à ces mécréants, qu'ils sont des ânes et que je suis leur bon pasteur au bâton. Et qu'ils n'ont pas autant d'humour qu'ils le prétendent, ni de jugement, ni même d'amour envers ceux qui ne leur ressemblent pas. Dites-leur que leur comportement procède du racisme. Et qu'ensemble ils sont les victimes d'un phénomène psychologique bien connu appelé "comportement des foules". Mais dites-leur surtout qu'ils sont aveugles, et qu'ils font partie, même s'ils s'en défendent, de la masse que l'on manipule aisément, tant sur les plans culturel et politique, que psychologique et économique. Dites-leur à ma place vous les sots, puisqu'ils sont de ceux qui n'admettent de vérités, ou de mensonges, uniquement lorsque ceux-ci émanent d'une bouche faisant autorité.

Si un journaliste qu'ils aiment leur dit une ânerie, ils la prendront pour vérité sacrée parce qu'ils se seront enracinés psychologiquement, effectivement, voire affectivement, dans leur conviction. Et celle-ci deviendra alors inébranlable. Mais si moi je leur dis : vous êtes des esprits dénués de sens critique, et vous n'avez pas d'opinions personnelles, alors ils crieront au fascisme. Mais comme je pense que vous avez une bonne influence sur eux, prenez donc la parole à ma place et dites-leur qu'ils sont des ânes. Vous, ils vous croiront.


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81 - L'imposture de la littérature

L'éloquence la plus aimable est souvent au service des idées les plus subversives, et celui qui ralliera à sa cause son auditoire essentiellement grâce à sa plume aura plus de disciples que le sec orateur car il séduira d'abord le coeur de ses semblables avant de séduire leur esprit.

Le véritable talent littéraire consiste à se taire en certaines circonstances. Alimenter les élans masturbatoires d'amateurs dotés d'un banal imaginaire, animés d'une scolaire ardeur serait un jeu cruel et je serais bien méchant de succomber à cette bassesse. Aussi je vais mettre ma science au service des profanes de toutes espèces et tenter d'élever le débat à la hauteur de mes rêves, de ma personnelle sensibilité. Ce qui devrait naturellement faire autorité chez les gens de goût. Interrogez-vous sur la situation de l'écrit aujourd'hui... Combien d'anonymes rêvent de devenir des auteurs reconnus ?

De nos jours les écrivains pullulent, prolifèrent, font des petits partout, et c'est l'abondance, l'invasion, le raz-de-marée. Et bien sûr, tout cela au détriment de la qualité. Aujourd'hui n'importe quel quidam écrit. Le peuple même se targue de taquiner la muse. L'écriture s'est démocratisée, désacralisée.

Il n'est plus prestigieux aujourd'hui d'écrire, puisque tout le monde le fait, plus ou moins bien, mais plus souvent mal, voire très mal. L'écriture n'est plus l'apanage d'une certaine élite. Les chanteurs populaires, les acteurs de cinéma écrivent. L'homme de la rue écrit. Certains "passent à Pivot". Il y a un siècle l'instituteur, le curé, l'étudiant étaient respectés parce que détenteurs d'un certain savoir qui paraissait sinon cabalistique, en tout cas prestigieux pour le commun non initié. A présent tout le monde a le BAC. Il ne vaut plus rien sur le plan psychologique.

Il est incroyable de constater le nombre de livres qui paraissent chaque jour en France... N'importe qui écrit n'importe quoi, et il y a tant de ces écrivains d'un jour qu'ils font insulte aux beaux esprits, ceux du cercle de la culture littéraire de base. Personnellement j'aurais honte de me mêler à cette racaille de la plume qui produit des livres aussi ineptes que superficiels. Je ne nie pas qu'il y ait d'excellents écrivains aujourd'hui, mais ils sont trop étouffés par les médiocres formant la grande majorité de la "corporation". Face à ce déferlement ahurissant d’œuvres littéraires contemporaines, ma réaction naturelle est de faire table rase de tous ces ouvrages parasites et de revenir aux classiques, valeurs sûres, indémodables, fruits des plus beaux esprits, héritage culturel du meilleur goût.

Je me moque bien de méconnaître, d'ignorer, d'être parfaitement déconnecté des productions littéraires actuelles, l'essentiel pour moi étant de consolider une bonne culture de base. Je veux dire une culture authentique, consacrée, officielle, classique, celle qui a de tout temps fait autorité chez les érudits, les connaisseurs, les initiés. Les auteurs de qualité sont rares. Et il y a tant de productions qu'on ne pourra jamais tout lire. Il est plus pertinent de se réserver pour des valeurs sûres de la littérature, plutôt que de se perdre dans le labyrinthe des oeuvres actuelles, trop inégales, trop nombreuses, trop diverses. J'ai l'impression qu'en cette époque molle la société se disperse dans une culture d'incessantes "nouveautés".

Il ne suffit pas d'être une victime du SIDA, d'être un moribond en sursis ou bien un drogué repenti pour faire un bon auteur. Ces écrivains tordus, infirmes ou infectés ont la cote sur le marché actuel du livre. Ils se vendent bien et c'est étrange, on leur trouve toujours beaucoup de talent, comme si le fait d'avoir des tares ou d'être issu d'un milieu misérable et d'avoir connu les duretés de la vie transformait -simplement en les écrivant- n'importe qui en écrivain digne d'être édité et lu à des centaines de milliers d'exemplaire...

Il est de bon ton de trouver du génie au triste quidam, à l'inconnu venant de rien, à l'inculte complet comme au spécialiste des causes insignifiantes. De nos jours il faut être sensible, sous peine de réprobation populo-médiatique, aux misères qui sont à la mode. Il faut admirer les poiriers en fleur, et depuis toujours il faut regarder à la télévision les enfants souffrant de malformations diverses avec une vive et typique compassion, il faut encore se faire l'intrépide défenseur de l'emploi pour les jeunes, il faut aider les vieux (et les nommer "seniors"), les éclopés (ceux là il faut les nommer "personnes différentes"), les bossus (handicapés physiques au niveau dorsal), les moribonds ("personnes en fin de vie"), etc.

Bien que cela soit impopulaire je crois, je pense, je suis persuadé qu'on ne devrait pas donner aussi facilement la parole au peuple, parce que le peuple n'a fondamentalement rien à dire sur le plan littéraire. Bien sûr, cela est fort bien vu et très aimable pour tout le monde de dire que tous les citoyens sont responsables, adultes, intelligents et beaux, et que tous les gens qui écrivent ont un talent fou. Mais c'est faux. La réalité ne correspond à ce discours rassurant et crétinisant. Beaucoup des invités de Monsieur Pivot, journaliste et animateur d'émissions littéraires à la télévision, sont des écrivains ineptes. Pas tous, mais beaucoup. Ces médiocres-là feraient n'importe quoi pour accéder à ce banal et vulgaire pinacle de la "reconnaissance télévisuelle". Quelle indignité ! Selon les règles élémentaires du bon goût un vrai écrivain ne devrait pas faire sa publicité. Tel Beckett, il devrait se cacher avec dignité, ne jamais accorder d'interview, ne pas montrer son image. Et ne surtout pas passer à la télévision ! La télévision transforme la rareté en vulgarité.

En aucun cas je n'aimerais être mêlé à cette petite société dévoyée, productrice de pensées à deux sous mais facturées au prix fort, avide de passages "alatélé". Sachez toutefois vous mes lecteurs-détracteurs que je suis inculte. Je ne suis point un rat de bibliothèques, les quelques auteurs que je connais sont d'abord et avant tout des auteurs classiques choisis par goût, par facilité de lecture ou par heureux hasard. Mais cela m'empêcherait-il d'avoir un avis sur la question de la littérature, de la poésie chez certains amateurs de la vile espèce ? Mon avis vaut bien celui de n'importe qui d'autre. Et je ne m'interdis pas d'exposer mon opinion. Au nom de quoi devrais-je passer sous silence mon sentiment sur la question littéraire ?

La société est pleine de penseurs sans épaisseur, de bouffons incapables de montrer une volonté virile. En général les gens ne savent exposer leurs opinions que sur le bout des lèvres, avec des précautions ridicules qui les font ressembler aux demoiselles maniérées des salons pseudo littéraires en vogue aux temps passés. Ils veulent tous se montrer aimables -et terriblement plats-, au détriment du vrai panache qui consiste à afficher une foi insolente dans ses idées, fussent-elles erronées, à clamer haut et fort sa propre vérité sans se soucier de celles des autres (qui devraient, de son propre point de vue, être normalement considérées comme des fadaises). Ces gens préfèrent, au nom d'une républicaine tolérance à la mode depuis deux siècles, adopter une attitude faible et docile qui les fait ressembler à des moutons affables.

Ces délicats ne sont pas dignes d'avoir des opinions si ils ne savent pas les défendre avec autorité, ferveur, voire grandiloquence. Ces petits lettrés sont tous alignés sur des valeurs efféminées, ineptes, insanes, passe-partout, galvaudées et sans plus d'effet dans cette société de gentils ovins habitués à penser selon un mode lisse, dénué de tout heurt. Ils veulent tous exposer leurs petites idées, mais aucun ne veut le faire en froissant l'autre. Et ces gens prétendent aux idées... Pour moi ces poltrons du verbe et de la plume ne sont que des esclaves.

En ces temps industriels, nul brave pour relever le défi d'un beau duel : tous des lâches, des pauvres hères, des misérables serfs en ce monde avide de confort ! Comment chercher querelle à de si piètres guerriers ? Impossible de ferrailler dignement en semblable société. Même à la pointe de la plume, ils ont peur de se battre pour défendre leurs minuscules idées.

Je ne cherche nullement à écraser les petits. Je veux simplement asséner sur la tête du peuple, à grands coups de masse, certaines vérités. On me traite de fasciste ? D'intolérant ? Moi au moins je prends l'initiative de défendre mes opinions à coup de masse : on ne peut pas tenir une telle arme du bout des doigts. Il faut de la poigne, des biceps. Et mes détracteurs, eux, par manque de cœur, d'énergie, d'envergure, continuent de me combattre à la petite cuiller.

82 - Lettre au Maire de Nogent-sur-Marne

Madame le Maire,

Souvent l'ennui, le poids des jours qui passent, insipides et indolents, ou le calme mortel des heures insanes me chassent hors des murs de ma confortable prison, et c'est d'un pas rageur que je foule le pavé oppressant de la ville.

Bravant la pluie, la neige ou le vent frais d'automne, j'arpente les rues en quête d'un hypothétique destin. Au détour de ces chemins improvisés, j'espère croiser un regard, une étoile ou même un chien, que je suivrais et qui m'emmènerait vers des terres promises, loin de cette ville, loin de ces jours sans éclat ni saveur. Mais je marche droit devant moi, et rien ne vient, rien ne surgit du coin de la rue, à part les voitures qui me frôlent, anonymes, ainsi que les pauvres vieilles plus mortes que je ne le suis, qui trépassent à petits pas le long des trottoirs.

Maudites soient ces interminables rues trop ordinaires baptisées " Général de Gaule " et " Général Leclerc " ! Toujours les mêmes, partout. Toutes ces villes de banlieue se ressemblent : rues moroses, mornes, languissantes. C'est un bien triste hommage que l'on rend aux têtes immortelles en les faisant se pencher sur cette grisaille citadine, exsangue, vide de joie, pleine de poussière et de désolation...

Plongé dans ce monde au bord des larmes, dans ce quotidien de deuil, mon coeur mourrant se révolte, animé par une fureur libératrice. Sa dernière étincelle. A force de désespoir il en appelle à la Poésie, à la flamme romantique, à l'Amour, à tous ces feux souverains qui font tellement défaut à la ville où je demeure : Nogent-sur-Marne... Dans ses muets sanglots il s'en remet, plus infortuné, affligé et misérable que vengeur, aux esthètes de la douleur, aux chantres de la détresse, aux poètes du chagrin, laissant à leur solennel ennui de Gaule et Leclerc qui veillent sur les deux grandes rues principales. Mon coeur mis au sépulcre psalmodie alors les chants doux de la désespérance, pour ne point mourir tout à fait.

Et, m'éloignant de plus en plus de ces rues exécrées, continuellement empruntées sous l'égale grisaille des jours qui se succèdent, je pars à la rencontre de ce pauvre Baudelaire, de ce grandiose Hugo, de cet élégiaque Chopin... Rue Victor Hugo. Rue Charles Baudelaire. Rue Frédéric Chopin... Ces rues-là sont tout aussi tristes certes, mais Dieu ! qu'ils sont réconfortants ces bardes illustres auprès desquels vient s'épancher mon âme en ruine !

Sous l’éclat de ces flammes croisées au gré de mes pas tourmentés, je hâte ma fuite vers l'improbable, ivre du désir d'infini, de fortune, de lauriers, assoiffé de lumière, d'aventures et d'amours, indifférent aux fantômes emmitouflés qui passent à côté de moi. Rêveur insatiable, la fièvre au front, dans une belle et secrète folie je m'élance sous l'orage, dans l'air glacé ou au milieu de la brume qui tombe, insensible à l'onde terrible du ciel. J'imagine alors qu'un cheval au sabot d'airain, tel Pégase prenant son essor, m'emporte dans une chevauchée fulgurante et que des ailes soudaines m'arrachent enfin de ce sol de misère. Je rêve, caracolant sur une telle monture, de rejoindre les nues tourmentées qui narguent la ville.

Je me vois côtoyer les nuages dans une onirique cavalcade et hurler au monde la joie pure émanant de mon coeur plein de gloire. Je me vois partir en direction des étoiles, rejoindre un univers de légendes. Aux antipodes de Nogent-sur-Marne et de sa morne vallée de béton.

Lorsque je dévale la grande rue, tout empli de ces pensées, le visage fouaillé par la pluie, le souffle écumant et les cheveux au vent, j'ai envie Madame le Maire, comme un fou, comme un enfant perdu, comme une âme en peine, de traverser la cité d'un trait pour aller vous porter ma flamme mourante, pour vous témoigner, plein d'amertume, les langueurs que communique en moi votre ville au quotidien si terne, aux airs si désolants qui à ce point m'accablent. Au moins que ma détresse aujourd'hui aboutisse au seuil de votre ministère, et qu'elle trouve un ultime, salutaire, charitable refuge dans votre compassion.

83 - Des grains de sable dans un songe

Mademoiselle,

Dans l'infini imaginaire, j'ai des souvenirs de votre grâce féminine. Un coeur qui bat ne demande pas de compte au réel et n'a pas besoin de tangibles preuves d'une promenade amoureuse ou d'un sourire pour continuer à battre. L'idée seule de cette promenade, de ce sourire l'émeut.

J'étais donc avec vous, perdu dans les dunes un peu en friches d'une plage que je crois connaître. Peut-être Fort Mahon, Cayeux-sur-Mer ou quelque part ailleurs dans leurs proches alentours... Nous étions sous un soleil vernal, en milieu de journée, et il semblait n'y avoir que nous parmi ces dunes. La réalité des choses se bornait à l'air, limpide, au sable et au soleil. La chaleur de l'astre était douce, agréable. Pourquoi voyais-je surtout vos pieds nus enfouis à demi dans le sable clair ? Je l'ignore. Je pressentais que vos pieds prenaient le parfum du sable, et cela me troublait étrangement.

C'était comme si vous vous fondiez avec les dunes, en tout cas c'était une façon subtile et directe de vous mêler avec la mer toute proche. Je vous tendais la main, et des grains de sable se mêlaient à l'étreinte de nos doigts.

Une nouvelle fois je pris conscience de l'odeur de ce sable, et en effet je me sentis immédiatement envahi par ces effluves aréneux. Et ne me dites pas que le sable n'a pas d'odeur ou si peu, car j'avais senti jusqu'à son essence : parfum régnant dans la profondeur enfouie du sable, prisonnier dans ses entrailles et que l'on sent furtivement quand on remue à proximité du visage des brassées entières de grains. Parfum évoquant les mystères de la matière faisant écho à ceux de l'âme.

Nous marchions ainsi main dans la main sur les dunes, lentement. Parfois je m'arrêtais un instant pour mieux sentir le sable autour de mes chevilles, car j'étais pieds nus moi aussi. Et puis lorsque je rouvrais les yeux votre visage m'apparaissait, paisible sous le vent, parmi les dunes.

Votre sourire à peine esquissé ressemblait aux tiges d'herbes croissant çà et là sur les dunes, ployant calmement dans l'air en mouvement. On ne voyait que ces dunes, et c'était rassurant parce que chacune d'elles était un exemple de singulière beauté, simple et sans prétention.

C'était la beauté ordinaire de lignes suaves, minces, I'équilibre banal des formes avamment ordonnées par la nature. Une grâce tellement coutumière aux regards qu'elle n'atteint plus les sensibilités blasées. J'étais heureux de cette capacité d'émerveillement en moi, heureux de trouver dans ces dunes délaissées, négligées, une espèce d'éden temporel digne de nos pas mêlés. Le reste du monde nous oubliait avec les dunes, laissant mûrir au soleil mon amour pour vous à mesure de notre avancée sur le sable.

Nous ne parlions pas, et nous n'entendions que le bruit de notre marche dans l'air, car même le vent se faisait oublier, intimement lié au décor. Vos yeux à demi ouverts parcouraient ce paysage de sable et d'herbes sans se fixer précisément en un endroit déterminé, et c'était comme une façon sereine de regarder le monde, sans heurt, globalement, car tout n'étaient que courbes molles et touffes d'herbes aérées. Rien ne brusquait l'attention, le paysage entier formant une unité tranquille dont nous étions le centre.

Il n'y a pas de suite a notre promenade dans ces dunes. Je me suis perdu dans une contemplation qui a éparpillé mon âme dans l'air, la lumière et les grains de sable au nombre presque infini. Je suis devenu les dunes, les herbes, l'azur, les grains de sable entre vos orteils, dans vos cheveux, dans chacun de vos yeux.

Je suis devenu ce paysage à la fois dérisoire et sublime d'une plage de dunes sous le soleil, avec vous au centre, les pieds parfumés de sable.

84 - Une valse dans des ruines industrielles

Mademoiselle,

Vous entrez dès maintenant dans l'univers intime de mes molles errances poétiques. Figurez-vous que je vous ai rêvée dans le Nord de la France, entre Amiens et Arras, peut-être un peu plus haut, un peu plus loin dans les brumes de ces terres oubliées.

Dans cette rêverie nous étions vous et moi au bord d'un champ de démolition, égarés dans ce triste asile telles deux silhouettes surgies du brouillard, déambulant parmi des briques brisées éparses et quelques minces pans de mur qui avaient formé autrefois un complexe édifice, dans une grande, plate étendue sans nulle habitation, sous un ciel terne, morne, éteint.

En fait il s'agissait d'une usine désaffectée datant de la fin du XIXème siècle, construite selon les règles de l'art de l'époque. C'étaient des ruines industrielles comme on en voit dans le nord du pays, faites essentiellement de briques et de friches. Nous cheminions paisiblement dans ce site déserté, côte à côte, confusément témoins du glorieux naufrage d'un passé que nous n'avions jamais connu.

Tant de laideur, dans cette atmosphère onirique, devenait troublant. L'ancienne usine en briques était transfigurée par sa lente agonie, sa déchéance lui conférant un aspect de noblesse. Errant avec vous en ces lieux désolés, je sentais grandir en moi un puissant et étrange sentiment d'amour.

Je stoppai le pas et, prenant votre main dans la mienne, je vous fis face. Mon regard triste se fit tendre sur votre visage. Je posai l'autre main contre votre hanche et, sans toutefois rapprocher plus mon corps du vôtre, je vous entraînai dans une danse improvisée. Sous une brise fraîche, au milieu des herbes folles et des murs de briques éboulés, insensiblement nous nous mîmes à valser. Bientôt pris dans ce tourbillon confidentiel et surnaturel, nous entrâmes en contact intime avec le décor mélancolique qui nous entourait.

Au gré du vent qui tournoyait autour de nous, dévié au milieu de la plaine par les hauts murs encore debout de la vieille usine, vos cheveux blonds volaient, s'enroulaient comme des flammes vives dans l'air, avec des mèches qui tantôt s'agitaient dans votre cou découvert, tantôt dissimulaient à demi votre visage. Valsant maladroitement, nous trébuchions parfois contre les briques enfouies dans les herbes, et selon les caprices de nos pas de danse mal assurés, nous allions et venions parmi les ruines muettes.

Puis, cessant le jeu, nous demeurâmes un instant immobiles debout dans l'herbe qui dissimulait nos chevilles. Pudique, je posai mon regard sur votre visage. Puis contre votre joue je passai la main. La brise se mit à battre doucement vos tempes et entre mes doigts s'emmêlèrent quelques mèches déliées de votre chevelure.

Là, tout devînt étrangement beau : votre visage dans le vent, baigné dans cette pesante atmosphère prit sous mon regard des allures insolites... Vos cheveux étaient des vrilles sous le frisson d'Éole, des filaments impondérables qui fuyaient ma caresse. Vos yeux qui clignaient n'étaient plus que deux échos de la brume, répandant une grande mélancolie, et leurs pupilles vagues faisaient aimer passionnément la bruine. Votre sourire incertain renforçait l'ambiance irréelle de ce cloître sauvage, la propageait au-delà des briques qui gisaient dans les herbes, vestiges d'un monde révolu, au-delà des hauteurs éphémères des murs en sursis, témoins mornes de notre valse impromptue.

J'entendais le vent, je le sentais jouer autour de vous, j'avais un peu froid, et vous Mademoiselle, vous deveniez belle et triste comme ces herbes, ces briques, ce champ de ruines.

85 - Agathe et Victor

Mazarine Pingeot enseigne la philosophie à l'Université d'Aix-en-Provence. Elle a 25 ans. Ses élèves ne sont guère plus âgés qu'elle. Ou peu s'en faut. En tout cas, élèves et professeur sont de la même génération. "Pingeot", n'est-ce pas un nom on ne peut plus commun ? Qu'a-t-elle donc voulu prouver, la Mazarine ? Evidemment, elle répondrait qu'être fille d'un père si auguste n'y est pour rien dans son choix. Alors, pourquoi n'est-elle pas balayeuse de rues à Aix-en-Provence ? N'est-ce point un métier comme un autre en cette sainte république française où nous sommes censés être tous égaux ?

Si la Demoiselle Pingeot affirme qu'elle est professeur de philosophie à l'Université d'Aix-en-Provence non pas à cause de son sang mais parce qu'elle est douée, à mon avis c'est qu'elle a un problème de particule. Moi qui ai une particule, je n'ai rien à prouver, contrairement à Mazarine Pingeot. Je pourrais sans honte aucune balayer les rues d'Aix-en-Provence, puisque j'ai la particule. Moi je pourrais me le permettre, comme un prince peut se permettre de laver les pieds d'un vagabond. Comme quoi être fille d'un roi ne suffit pas. Encore faut-il jouir de l'avantage inouï, immense, incomparable que confère la particule aux heureux élus.

86 - L'ange des laides

Esthète maudit, je cherche la laideur chez les femmes afin d'accéder à une émotion de prix. J'aime les filles laides au nom de l'amour. Je suis ému à cause de leur maladresse, de leur détresse, de leur fragilité, décuplés chez elles. J'aime leur caractère renfermé, secret. J'aime les filles laides non pour leur visage, mais pour leur âme blessée, pour leurs ailes brisées. Le sommet de l'art amoureux n'est point dans le fait de s'émouvoir de la beauté d'une femme, mais de sa laideur. Voici le genre d'annonce que je passe dans certains journaux :

"Fleurs que l'on dit ingrates, visages maudits par les esthètes de la norme, femmes offensées par votre propre reflet, jeunes filles pour qui les vingt ans n'ont pas tenu leurs promesses, enfin créatures inéligibles au trône de la beauté, vous les naufragées de l'amour, la tristesse et la solitude sont les derniers outrages que vous vous infligez. Votre beauté n'est pas dans l’oeil infernal du mâle mortel qui n'est qu'un miroir éphémère, mais dans les mots que vous me destinerez. Ils resteront gravés pour un siècle dans le granit sensible de ma mémoire, dans la pierre vive de mon coeur, dans le marbre de ma tombe future.

Je suis un rêveur éclairé et mes rêves ont l'éclat des mythes. Mon coeur est noble, mon âme est douce, et je pars à la découverte de jolies plumes exercées, ardente et virtuoses, intrépides et fécondes, afin d'entreprendre une correspondance de choix où il sera question de l'éternel amour. J'ai l'imaginaire bohème, le goût du romanesque, le pouvoir des mots. Je suis un guerrier partant à la conquête des exclues de l'amour. Lassé des jolies filles, je choisis la société des humbles demoiselles, trop souvent dédaignées.

Sensible à vos traits modestes, je vous invite à partager le frisson intime, vous les esseulées qui découvrez aujourd'hui mon nom. Croisons nos plumes, échangeons les mots jamais osés, et le miracle épistolaire naîtra. Pour les causes que vous croyez perdues, je suis prêt à plaider, convaincu par vos charmes austères. Par la force des mots vous apprendrez l'amour, et goûterez à son mystère."

87 - Taisez-vous tous !

Envoyé sur quelque liste de discussion inepte à l'attention de ses membres :

Cessez ces vains discours sans nul intérêt ! Vous ne parlez que d'affaires ménagères, et vous vous échangez à n'en plus finir des lieux communs... Autrement dit vous tuez le temps. Mais au lieu de le tuer en taillant un bout de bois ou en jouant aux cartes, vous faites ça avec un clavier d'ordinateur entre les mains... Vous ne savez pas vous servir de ces choses merveilleuses que sont l'ordinateur et Internet. Vous ne savez pas, et vous gaspillez votre temps, votre argent et appauvrissez votre esprit à papoter entre vous de tout et de rien, mais surtout de rien, de rien du tout. Sans esprit, ni grammaire, ni orthographe, étalant sans pudeur vos lacunes.

Vous penserez que je suis un fat, un prétentieux, mais ne suis-je pas dans la vérité en disant que vos oeuvres quotidiennes sur Internet sont dérisoires, insignifiantes ? Ce que vous vous dites s'envole, passe, retourne en poussière. Vous êtes producteurs de fumée. Tout ce que vous vous échangez, vous l'oubliez dans l'heure, la minute, la seconde. Au lieu de penser, réfléchir, comprendre, chercher, vous instruire, enseigner, connaître, apprendre, vous ne faites que palabrer, vous divertir sottement, juger sans jugement. Je vous vois passer, revenir, repasser sur la liste, et cela n'a ni queue ni tête. Et puis vous picorez ici et là, vous vous envolez soudainement pour réapparaître un peu plus tard, un peu plus loin sur la liste, si lourds avec vos cervelles de moineaux, sautillant d'un sujet à un autre sans complexe, sans état d'âme, mais avec beaucoup d'insouciance, d'incompétence et de légèreté.

Vous êtes pesants et légers, vous parlez beaucoup sans rien connaître -ou si peu-, vous vous agitez les neurones sans fruit, vous allez, venez, vous vous dispersez. Vous êtes des enfants. L'immaturité chez vous est souveraine. Et lorsque j'arrive, vous me crucifiez. En vérité je vous le dis, vous n'êtes pas les amis de l'art. Vous n'êtes pas mes amis. Vous êtes du vent sur Internet. Vous croyez vous servir d'Internet. C'est Internet qui se sert de vous : vous lui devez de l'argent chaque mois. Vous êtes aveugles. Vous êtes des pions. Il n'y a qu'un roi, qu'un prince, qu'un chevalier ici. Et ce roi, ce prince, ce chevalier, c'est MOI.

Et MOI seul.

88 - Le très haut prix de ma particule

Ma personnalité c'est mon nom, mon beau nom à rallonge. En quoi cela serait-il sans valeur, mal, insane ?

D'autres s'enorgueillissent en toute bonne foi de leur situation sociale, de leurs châteaux, de leur pouvoir, de leurs mérites, de leur célébrité, de leur génie ou de leur sainteté...

Moi je me flatte sincèrement de posséder un "de". Je ne vois pas de fondamentale différence entre le fait de mettre en avant ma particule et un pharmacien son diplôme de pharmacien.

89 - Osons blasphémer les temples littéraires

A tous ces écrivains lourds, ennuyeux, prétentieux et pénétrés de leur importance qui forment les "grosses pointures" du XXème siècle habituellement reconnues dans le monde des lettrés (tels le soporifique Claudel, le poussiéreux Valéry, le pédant Malraux, le prosaïque Sartre), je préfère l'humble et délicat Daudet père, plus léger, plus digeste, chantre de la fantaisie, du pittoresque, de la joie simple et saine.

Il est plus proche, plus humain, moins universitaire que ces pontifes "panthéonisés". Contrairement à ces austères penseurs et sèches plumes, Daudet était un véritable enchanteur, un vivant oiseau, un authentique poète.

90 - Correspondance privée

Eric et son épouse, et leurs chers enfants,

Il est 21 heures 50, je ne m'étais pas connecté depuis cet après-midi (nous étions partis au Mans). Je vous réponds donc maintenant. Les deux avorteurs de Neuvillalais, qui dorment en ce moment, se moquent totalement de votre message. Je viens de leur signifier le fait, mais vous les connaissez bien maintenant : la technologie, les hommes et les bêtes sont choses étrangères à leur cœur sans pitié. Ils ne s'intéressent qu'à l'or et à l'avortement, et ils avortent à tour de bras pour amasser le maximum d'argent à la banque. Chez eux ce sont les IVG à vitesse TGV, matins et soirs tous les jours de l'année que le bon Dieu fait.

Isabelle et à la Targerie en ce moment (j'ignore si vous lui avez envoyé un message). Quant à moi, je suis chez les assassins de Neuvillalais, je veux parler des avor-tueurs, vous voyez de qui je veux parler précisément même si je ne les nomme pas littéralement...

A propos, il y a quelques jours on a vu Monsieur Diard. On l'a rencontré sur la route en compagnie de son éternel vélocipède aux pneus rafistolés avec des bouts de ficelle. Enfin bref, le topo habituel. Une nouvelle fois j'ai tenté sur lui une séduction gastronomique : je lui ai proposé de venir à la "Targerie" manger du boudin noir à peine cuit (pour pas que le "bon jus" y sorte) comme il aime. Eh bien c'est toujours non. Il est toujours fâché avec nous comme s’il était fâché avec le diable en personne, cet animal !

Je vais répondre à votre question. Nous plaisons-nous à la "Targerie", Vidocq et moi ? Ma foi...

OUI ON SE PLAIT A LA TARGERIE !

" - Vi, vi, vi ! On s'plaît à la Targ'rie ! Même que Vidocq, al' veux peind' les murs d'la pièce à côté (prononcer KÔTÊÊ). Y a bien l'gros Robert qui vient nous d'mander d'la besogne de temps à autre, mais nous les gens de misère, on n'a pas beaucoup d'ouvrage à donner aux pauv'gens d'ici, vous savez. "

Foie gras, poulets de Loué et pâtisseries tous les jours à la "Targerie". Internet et feux de cheminée à tire-larigot. Fêtes, ripailles, femmes et vin à longueur de jours. On se fait vomir pour pouvoir "rebanqueter" ensuite. On est de vrais romains devenus ! La "Targerie", ça vous change un homme, je peux vous le dire. Le matin je fais le feu dans la cuisinière et pis quand ça chauffe bien, je fais le café dessus. En fait la cheminée qu'est tout à côté de la cuisinière à bois fait office de poubelle, on l'allume quand elle est pleine de détritus -bien combustibles- tels que papiers, cartons, pots de yaourt, bouteilles en plastique, mouchoirs jetables, et accessoirement crachats. Ca flambe et ça fait plaisir de voir partir en fumée tous nos détritus. Ca fait l'effet d'une purification, en quelque sorte. Pour ça la cheminée c'est bien.

Y'a Lionel qui vient tous les jours donner les repas de foin à ses bonnes et gentilles vaches qui sont dans la boue jusqu'aux genoux (au début Vidocq ça la démoralisait de voir toute cette fange sous la fenêtre...). On lui fait jamais mauvais accueil à c'te bougre-là. Il est ben gentil le Lionel, même qu'y donnerait sa chemise aux pauv'gens malheureux comme nous. En tous cas, moi j'l'aime ben. Y l'est pas méchant pour un sou. Et pis Vidocq aussi, elle l'aime ben le Lionel. Même qu'allé timide avec. Y'a des gens qui disent comme ça, des gens qui disent du mal, que le Lionel y l'est méchant. Moi je dis que tout ça, c'est rien que des menteries, que le Lionel il est pas méchant.

Je vous envoie à la suite de ce message deux mails (parmi tant d'autres) expédiés sur des listes. Lisez, c'est follement amusant. Raphaëlle peut m'écrire par voie postale, mais de grâce, qu'elle rallonge ses missives, je n'ai pratiquement rien à me mettre sous la dent lorsque je lis son courrier. Elle ne développe jamais. C'est vite lu, vite digéré. Ses lettres manquent de consistance. Je sais, elle n'a que dix ans, mais est-ce une raison pour faire l'enfant ? Allons, dressez-là, inculquez-lui les bonnes manières. Il faut être impitoyable avec les enfants, surtout lorsqu'ils sont fragiles, émotifs, chétifs et sensibles.

71 - 80

71 - Le convoi

L'humble convoi s'ébranle dans la brume. Un vent d'automne soulève quelques feuilles mortes qui tourbillonnent autour des visages, puis retombent aux pieds des marcheurs, dont je fais partie. Le ciel est gris, plombé, le froid pénètre les coeurs en deuil. Les pas sont lents, pesants, feutrés. Le silence de la troupe est inhabituel.

Les regards sont pénétrés, les fronts baissés, les mines affligées. De temps à autre des sourires dignes s'échangent entre deux murmures. Scène pénible. Et puis, après quelques minutes sombres et solennelles, un ange passe.

Moment de pure poésie, instant de grâce. Le tableau pathétique se transforme et m'apparaît sous une lumière inattendue. Tout semble irréel, doux et lointain, idéal et serein. Comme si les suiveurs du convoi étaient désincarnés, hors du temps et du monde matériel. Mystère et beautés étranges... Je vois une troupe d'êtres célestes escorter une étoile jusqu'au seuil du firmament pour lui dire adieu. Les visages qui m'entourent n'ont plus de nom. La poésie universelle a transfiguré les êtres et les choses. Et à travers les larmes j'entrevois le pur cristal d'une vérité poétique révélée.

Le gouffre ouvert à mes pieds ne m'effraie pas, et la vue de cette chose qui gît au fond n'a point ce goût amer que j'avais tant redouté. J'y lance quelques chrysanthèmes, étonné par la sérénité de mon geste. Au passage d'un vol d'oiseaux au-dessus de l’assemblée recueillie, quelques têtes se lèvent au ciel. Tout est fini.

On vient de mettre un ami en terre.

72 - Une visite à la morgue

Ca y est, maintenant tu es mort Raphaël. Bel et bien mort, et plutôt deux fois qu'une. Regarde-toi une dernière fois, ou plutôt regarde ton cadavre pour la première fois. Il est là, sous toi. Tu as vu, c'est le tien, c'est ton cadavre. Et il est déjà froid. Tu es mort Raphaël.

Regarde, tes yeux sont clos pour l'éternité. Ton visage impassible, bientôt voué à la poussière, est le visage d'un mort. De la Mort aussi. Sur tes lèvres muettes on dirait un sourire. Mais non, c'est le rictus de la mort. Tu n'es plus, ta dépouille est étendue. Tu es devenu un gisant. Et comme tous les gisants, la terre sera ton lit de mort. Tu es comme un roi aussi. Comme eux tu gis, pauvre mortel que tu es... C'est vrai que tous les cadavres sont égaux. Es-tu heureux ? Regarde ta bien aimée qui se penche sur ton visage sans vie, elle fixe tes yeux morts. Elle s'imagine peut-être que tu vas les ouvrir juste pour elle... Mais non, tu ne bouges pas, tu n'es plus qu'un cadavre.

Tu es devenu un mort maintenant, tu es content ? Tu vas être célèbre un jour durant. Ce sera ton heure de gloire en somme. Ils seront tous là pour toi. Tes amantes te pleureront. On regardera ce macchabée qui porte le nom de Raphaël, et on le chérira mieux que le corps d'un vivant. Tu seras touché une dernière fois par des mains de femmes. Témoins de tes amours révolues ou en cours, ces maîtresses d'un jour ou d'une éternité te rendront hommage. Évidemment ta mie officielle sera aux premières loges. Elle sera l'invitée d'honneur en quelque sorte.

Mais pour l'instant tu es dans la chambre froide. On va préparer ton cadavre pour les noces : tu viens de te marier avec la Camarde. Pas très jolie ni toute jeune ta dernière amante, il faut le reconnaître. Ca ne sera pas ta plus glorieuse conquête, c'est vrai. Mais tu n'as pas le choix Raphaël. Il faudra désormais partager ta couche avec cette éternelle ricaneuse, piètre épouse pour les plaisirs mais infiniment fidèle envers ses élus : elle n'abandonne jamais ceux qu'elle étreint. Au moins tu ne pourras pas te plaindre qu'elle te dise adieu un jour. Avec elle c'est pour toujours.

Sens-tu la main de ta chère éplorée sur ton corps inerte ? Non bien sûr, mais tu la vois d'ici. Elle devait t'aimer beaucoup pour ainsi baiser ta chair froide. Les lieux sont plutôt sinistres pour ce genre de débordement amoureux... En retour tu lui témoignes d'ailleurs toute ta froideur. C'est dire la mesure de ton flegme. Jusqu'au bout tu auras été un imperturbable amant. Aristocrate, hautain, plein de morgue. Mais attachant.

Ta vie est maintenant terminée Raphaël. Ton cadavre est bien rangé dans le tiroir blanc de la morgue, aligné comme un soldat. Tu as presque fière allure dans ton irréprochable rigidité. D'ailleurs ton costume te va à ravir : il n'y a pas un pli. Pour une fois tu es élégant : tu te tiens bien. Ta fiancée te regarde dans la fraîcheur de ta mort. Tu as encore bonne mine. Mais elle te reverra aux funérailles. Espérons que tu feras aussi bonne figure.

Une main vient de pousser le tiroir frigorifique.

On ferme !

73 - Lettre à un défunt

Vous voilà donc mort Monsieur X.

La cigarette tue. A petit feu certes, mais elle tue. Vous avez fini par le comprendre et finalement réussi à cesser de fumer. Mieux vaut tard que jamais... Vous avez pris de bonnes résolutions, c'est le moment de vous expliquer certaines choses.

Vous ne m'aimiez guère. Moi non plus. Je vous saluais avec condescendance, avec une authentique moue de supériorité. J'avais pitié de cet éternel manuel incapable de la moindre profondeur de vue, de grandeur de sentiments, de noblesse d'âme. Pitié de votre infirmité d'esprit, pitié de vos manières grossières, de vos poumons enfumés. J'avais pitié, c'est pour cette raison que je ne vous haïssais point. Vous étiez un brave type. Un travailleur honnête, ponctuel. Moutonnier, apolitique. Enfin un peu à droite. Et même plutôt à l'extrême droite. Vous étiez légèrement raciste aussi. Et même franchement.

Et puis vous étiez un fin épicurien aussi. Enfin ivrogne pour nous comprendre... Maintenant que vous êtes mort, il ne faut pas dire ivrogne. On restera donc sur "épicurien".

Jusqu'au bout vous aurez incarné la médiocrité. Vous n'aspiriez qu'à de modestes choses en ce bas monde : confort et biens matériels. Des choses à votre portée. Pas exigeant... Aujourd'hui vous êtes servi, vous avez le Ciel devant vous. Ca va vous changer de vos petits meubles et de votre télé. Finalement je crois que je vous aimais bien Monsieur X. En fait non, je ne vous aimais pas.

Ne m'en veuillez pas Monsieur X, c'est juste pour rire. Vous comprenez, rire ? Le sens de l'humour, vous connaissez ? Non pas le vôtre, pas votre humour à vous. Je veux parler des gens qui savent rire sans montrer les dents. En finesse, subtilité, délicatesse. Ce qu'on appelle l'esprit.

Votre plus belle réussite fut involontaire : votre fille. Vous savez, votre fille que j'ai rencontrée un jour, que j'ai sortie de son milieu... Cette personne qui ne vous ressemble décidément pas. Intelligente, fine, cultivée, pleine d'esprit, diplômée. Tout le contraire de vous. A se demander si vous êtes bien son père...

Vous êtes mort, et je me devais d'attendre ce jour pour vous dire tout ça. Vous comprenez, vous m'auriez interrompu si j'étais venu vous raconter ça sur votre lit d'hôpital. Mais maintenant que vous êtes mort, quelle importance ? Ca ne vous fera pas plus de mal. Et ça me soulage tellement de pouvoir vous dire toutes ces choses bien en face...

Allez, cette fois je vous laisse Monsieur X. Je vous souhaite tout de même un bon voyage vers l'infini. Adieu donc. Adieu et sans rancune. Je vous laisse à votre destin, voguez donc en paix dans votre éternité. Je vous pardonne. Pardonnez-moi, vous aussi. Je vous donne ma paix. Ma paix.

Adieu.

74 - Mille raisons de me haïr

En me lisant, vous trouverez certainement autant de raisons de me détester qu'il y a de textes. Âmes timorées s'abstenir.

J'ai besoin d'extérioriser tout l'éclat de ma personne et d'éblouir mon entourage pour progresser, exister, et briller plus encore. L'humilité me va fort mal. Je pense que l'humilité est l'apanage des esprits médiocres. Les humbles sont indignes d'être des princes. Et les princes sont indignes d'être des gueux.

Sans orgueil, que suis-je ?

Ce qui fait ma force, ma vérité, mon éclat, voire mon inimitable panache, c'est que je suis dépourvu de vaine humilité. L'arrogance est ma naturelle signature, l'orgueil ma principale richesse, la particule mon plus solide argument.

Je suis inattaquable car ancré dans ma logique. L'absurde a cet avantage sur les valeurs actuelles de ce monde, c'est que c'est un système qui échappe à toutes ses lois raisonnables. Et prosaïques. Je suis un chevalier, et mes valeurs sont la particule, l'épée, la quête d'un Graal.

La poésie est ma vérité. D'où ces distorsions, ces outrances, ces contradictions dans mon discours, mes idées, ma pensée. C'est en général ce qui déplaît tant chez mes détracteurs dénués de cœur, et c'est ce qui indispose tant les esprits par trop carrés.

75 - L'argent pour acheter le Ciel

Lettre ironique à une détractrice.

Souffrez Madame que je ne partage définitivement pas vos vues aberrantes. La mort n'est point, comme l'avancent ces hérétiques inconséquents de votre espèce, la fin de tout, mais le début d'une éternité faite d'ailes d'anges et de miel, de chants pieux et d'enfants sages.

Et je ne connais guère qu'une seule façon d'accéder à ce Ciel enviable : faire dire des messes. Autrement dit le riche a beaucoup plus de chance d'être sauvé que le mendiant. Dans ce but l'enrichissement personnel est une bonne chose puisqu'il contribue à payer des prêtres pour faire dire un maximum de messes.

Cessons donc de vilipender les riches et d'encenser de manière stérile les pauvres, ces va-nu-pieds, ces gens sans le sou qui rêvent d'un Eden qu'ils sont incapables de s'acheter ici-bas. Les indigents sont certainement aimables à vos yeux, aux yeux de toutes ces bonnes âmes éprises d'absolu, mais ce sont finalement eux, les pauvres, les vrais imbéciles : pendant que les gens avertis s'enrichissent, qu'ils construisent leur demeure céleste donc, ces pauvres se perdent avec leur paresse et leurs viles et vaines séductions. La société et toutes ses bonnes consciences leur savent gré de leur humilité si médiatique, mais tout cela pour arriver à quoi finalement ? A rien du tout car seuls les riches seront sauvés. La gloire de ces pauvres gens sans le sou n'est que terrestre, tandis que la gloire des riches sera céleste.

Je suis donc sur cette Terre pour m'enrichir un maximum, et ce afin de pouvoir faire dire un maximum de messes. Pour le salut de mon âme.

Cessons ces discours révolutionnaires crétinisants et stériles, et crions plutôt : vive l'enrichissement personnel, vive l'argent qui sauve, et tant pis pour les pauvres et les imbéciles convaincus que leur pauvreté et leur imbécillité les sauveront des flammes de l'enfer...

76 - Délicatesses du langage

Echanges entre Alphonse Torchecul le bûcheron et sa patronne, Madame la Baronne du Lys.

- M'dame la Baronne, j'avons quelque chose à vous montrer.

- Mon brave bûcheron Torchecul, approchez. Qu'avez-vous donc à me montrer de si impérieux pour interrompre ainsi votre travail en plein élan ?

- Ben voilà M'dame la Baronne, j'avons c't'espèce de grosse bûche bien dure qu'est apparue dans mon pantalon depuis quelque temps, même qu'elle arrête pas de m'démanger vu qu'elle est comme ça à cause que votre grosse culasse lui remue juste sous l'nez !

- Torchecul mon fidèle bûcheron, voulez-vous dire en d'autres termes que cet infâme et odoriférant objet que vous tenez dans la main aurait pour suprême objet d'émoi mon chaste séant ?

- En quelque sorte M'dame la Baronne. Mais enfin je dirions plutôt que je bandifie et pue comme un bouc en voyant votre grosse culassière. Votre petite rondelle, j'aimerions bien la tripailler, la défoncer, la pourfendre à grands coups d'andouille, M'dame la Baronne.

- Ha bon ! Ca me rassure. Voyez-vous je n'avais pas bien saisi votre propos jeune homme. Vous voulez dire que, pris par une faim soudaine en plein labeur, vous désirez quelque rondelle d'andouille en guise de collation entre deux cassages de bois ? Et ce que vous tenez à la main n'est pas autre chose, bien entendu, qu'une bûche que vous venez de fendre... Suis-je insane tout de même ! Figurez-vous que je m'imaginais avoir entendu un discours moins sobre mon brave Torchecul et je...

- Tagueule la Baronne de mes deux, tu comprends donc point que j'avons envie de te défoncer la citrouille, bonne-à-cul-de merde ! Te défoncer la citrouille ! C'est ça que j'veux ! Je veux me taper le cul de la Baronne ! Viens donc là que je te foute ma grosse bûche bien dure au fond de ton gros cul, Baronne-à-couille-de-mes-deux !

- Ha ! Mais je comprends bien cette fois ! Torchecul, vous n'y pensez pas ? Et que dirais Monsieur le Baron ?

- Monsieur le Baron votre époux, il est en ce moment en train de foutre sa grosse pine dans le cul de la bonniche du curé, vous savez celle qui se laisse régulièrement mettre par Monsieur l'Evêque quand il rend visite à c'pédé d'curé de mes deux...


- Ho ! Ca oui alors, il faut dire que Monseigneur rend souvent visite à Monsieur le curé depuis que ce dernier a changé de bonniche. Cependant mon bon Torchecul, vous préférez que je vous la serve en rondelle ou en nature votre andouille ?

77 - Rimbaud, ce rigolo

Osons désacraliser le "Bateau Ivre", et "Une saison en Enfer" de ce plaisantin de Rimbaud. Avec ses trafics d'armes et autres méfaits crapuleux, de quoi peut-il se targuer ce rimailleur plein de sempiternelles "hideurs", les poches pleines de trous ? Je lui trouve le haillon un peu trop facile à ce joli. Sa semelle est bien trop usée pour être honnête.

Dehors les imposteurs de la poésie avec leur charabia poétisant, avec leurs émois mesquins de morveux attardés ! Un bon poète est un poète qui sait se mettre à la portée des gens SIMPLES et SENSES comme moi.

Je n'entends rien au "Bateau Ivre". Ca n'est pas moi qui suis un mauvais lecteur, c'est Rimbaud qui est un imbécile.

78 - Lâche mais facile

Heureusement que l'écran me protège de vos coups, de vos regards désapprobateurs, sinon je n'aurais jamais le courage de vous dire en face tout ce que j'ai écrit...

L'avantage de l'Internet, c'est que l'on peut dire tout et n'importe quoi sans crainte de prendre des coups dans la figure. Le NEt est l'arme des lâches, des anonymes, des Judas. C'est donc mon arme préférée.

C'est si facile de faire le bouffon en restant dissimulé ! Ca donne beaucoup de courage aux grands lâches de mon espèce. Je puis insulter, vitupérer, diffamer tout à ma guise : je demeure bien en sécurité, bien au chaud derrière mon clavier. Je préfère donner des coups dans le dos plutôt que de face : c'est beaucoup plus facile et surtout moins dangereux pour moi.

Avec le NET, c'est l'assurance de commettre des méfaits sans avoir à en subir les fâcheuses conséquences. Etant donné que je suis odieux, lâche et traître, Internet est mon outil favori pour asseoir ma puissance.

79 - Hommage à la laideur

Je sais que vous n'êtes pas celle dont on dit qu'elle est jolie. Votre visage, si dur et si doux à la fois, ce visage-là, si triste et si plein d'éclat, n'a point la beauté facile de ces pucelles de dix-huit ans fraîches et gaies qui font si souvent se retourner dans la rue les hommes mariés et qui leur font oublier un instant la pesanteur d'un trop long et trop fade hyménée. Vous, vous n'inspirez que vide et ennui à ces coeurs frivoles.

Vous n'êtes pas belle, certes. Vous ne faites rêver personne. Je vous aime moi, pourtant... Vous ne serez jamais celle qui fera pâlir les blondes de la terre, jamais celle dont on chantera les grâces au son de la viole, au clair de Lune, mais vous serez pour toujours ma pauvre chandelle.

Vierge parmi les vierges, jeune parmi les jeunes, vous êtes la dernière toutefois. Morte en ce monde, vous êtes ma lumière.

80 - Huit ans et sotte

Ma nièce âgée de huit ans m’avait envoyé de sa plage bretonne une carte postale représentant "Mickey-Mouse". Ma réponse fut prompte et expéditive.

Mademoiselle ma nièce,

J’ai bien eu réception de votre missive. Je n’ai cependant pas eu l’heur d’y lire quelque macabre référence à de morte carnation, comme Mademoiselle votre aînée l’avait si bien fait lors de sa précédente lettre. Pas le moindre cadavre sous votre molle plume, pas même un seul propos scatologique, alors qu’ordinairement vous êtes si prolixe en la matière... Rien que des niaiseries propres aux gens de votre espèce, rien que des banalités inspirées par l’âge puéril. Vous me décevez.

Et votre carte représentant cet ignoble personnage de Mickey, à la fois tangible et virtuelle incarnation de ce que la culture yankee fait de pire, objet de culte idolâtré de manière uniforme et imbécile par tous les petits futurs abrutis du monde entier, et surtout vecteur commercial à l’échelle mondiale de la civilisation du hamburger, sachez que c’est pour me franchement déplaire !

Vous vouliez sans doute me séduire. C’est l’inverse qui s’est produit. Petite sotte ! Croyez-vous donc que l’on charme de la sorte un bel esprit ? Avec des objets communs vous voulez éblouir une étoile... Vous êtes réellement naïve. Naïve et décidément bien sotte. Retournez donc à vos dînettes, Pokémont, poupées Barbie et autres mièvrerie monnayables.

En ce qui concerne votre sotte allusion à mes conquêtes, en particulier cet hyménée que vous évoquez de manière effrontée dans votre carte postale, il n’a de réalité que dans votre inepte cervelle de moineau. Nul commerce suspect ne me lie à cette épouse et mère de famille que vous avez désignée. Seuls d’honnêtes, de chastes échanges se font de temps à autre entre elle et moi, et toujours à travers la plume, rien qu’à travers la plume. N’allez pas imaginer quelque intrigue romanesque douteuse entre cette épistolière et moi.

J’oubliais. Votre dessin est réellement insane. Vous n’avez décidément aucun talent ma pauvre ! Une sorte de maison, un vague personnage, Dieu que tout cela est pauvre ! Que c’est commun ! Vous avez une bien piètre imagination mon enfant... Et je dois dire que les commentaires accompagnant votre «chef-d’œuvre» sont à la mesure du trait de votre pinceau : affligeants. Vous n’avez vraiment aucun avenir dans l’expression artistique. Je ne vous encourage pas à poursuivre dans cette voie-là Mademoiselle. Par contre vous pouvez toujours m’écrire, je ne manquerai pas de remettre à leur place les sales gamines de votre genre.

Allez à présent patauger dans votre bac à sable mazouté avec les cormorans. Vous aurez l’air d’un drôle d’oiseau à la vérité !

61 - 70

61 - Demande d'aide à ma nièce âgée de onze ans

Mademoiselle,

J'en appelle à la puérile tendresse de votre cœur ingénu, ma nièce. Sauvez-moi d'un mauvais coup du sort, et je vous en rendrai mille et mille grâces. Figurez-vous qu'un méchant individu que j'ai osé provoquer en duel avec grand courage pour lui mieux apprendre à respecter mon art qu'il dénigrait, a eu l'audace de répondre à ma proposition de le défier à ce duel à l'épée...

Il veut se venger de ma témérité et de mon bel esprit, ce grand lâche ! Etant donné que j'ignore le maniement de ce dangereux instrument servant à redresser les torts (je manœuvre avec plus de dextérité le gourdin, le bâton ou le pistolet, mais toujours dans le dos pour plus d'efficacité et moins de péril pour ma personne), je vous propose ma chère nièce d'aller vous faire étriper à ma place. Vous n'êtes qu'une enfant, et qui de plus est une enfant du sexe faible. Autrement dit votre âme a bien peu de valeur comparée à la mienne. Votre vie ne vaut assurément pas la mienne. Allons ! Cela ne sera pas, je crois, un gros sacrifice pour vous que d'aller défendre mon honneur au prix de votre petite vie...

Si vous m'aimez ma nièce, ne refusez pas mon offre généreuse. Et flatteuse. Vous ferez un heureux sur terre, je vous assure, si vous acceptez de croiser le fer avec ce grand lâche qui veut m'occire, moi votre oncle ! De plus, et cela vaut la peine d'être relevé, il faut que vous sachiez bien ma nièce que je n'ai aucunement envie de trépasser dans d'atroces souffrances, percé de toutes parts par l'épée de ce méchant qui s'improvise justicier ! Pensez donc, moi votre oncle subir un tel supplice. Prenez plutôt ma place, chère enfant.

Vous conviendrez avec moi, j'en suis certain, l'avantage d'envoyer quelqu'un d'autre se faire transpercer pour moi. Ainsi je sortirai vivant de ce duel. Et cela sera bien mieux ainsi, n'êtes-vous point de mon avis ? Bien sûr vous êtes de tout cœur avec moi, alors acceptez de vous battre et de vous laisser massacrer en mon nom. Vous aurez mon infinie reconnaissance en échange de vos services, Mademoiselle.

D'ailleurs ce fat qui a osé répondre à mon défi, je suis sûr qu'il n'aura point de scrupule pour lever la main sur l'enfant innocente et fragile que vous êtes ! Cela sera assurément fort déshonorant pour lui, et j'aurai eu raison de vous envoyer vous battre à ma place, pour mieux me rendre compte de la lâcheté de ce faquin ! Il ne vaut pas la peine que je me déplace en personne pour lui, vraiment. Il vous massacrera dès le premier coup d'épée, cet assassin !

Ha ! Combien je regrette de ne pouvoir l'occire de ma main à coup de gourdin, cet apache ! Il aura fallu, pour votre infortune et la mienne, qu'il vît mon reflet dans un carreau et qu'il se retournât avant que j'aie eu le temps de lui briser les os comme un vulgaire lapin ! Ce malheureux concours de circonstances fait que vous voilà aujourd'hui envoyée à l'échafaud à ma place. Allons, courage ma nièce, il en va de l'honneur de votre oncle bien-aimé. Vous vous rendrez sur la place publique sise en la ville de mon assassin, afin que tous les témoins de ce duel jugent le degré de lâcheté de mon ennemi.

62 - Une enfant à éduquer

Mademoiselle ma nièce,

J'ai eu vent de vos espiègles amabilités. Toutefois je vous prierais de bien vouloir adopter un comportement qui soit plus de circonstance pour la prochaine fois. Je vous veux funèbre, austère, digne et sévère à l'évocation de ma sépulcrale personne. Souffrez que là soit mon bon gré.

Vous n'ignorez pas mes tourments Mademoiselle, à cause de la vilenie de ceux dont les noms n'ont que trop souvent résonné à vos puériles oreilles, lors de ma dernière visite chez vous. Réglez donc dès aujourd'hui les mouvements inconstants et par trop spontanés que votre jeune âge dicte à votre âme encore pauvre et infirme sur ceux, Ô combien plus élevés, riches et posés, des gens parvenus à saine maturité. Imitez-moi plutôt, sotte enfant que vous êtes, et veillez à ce que la joie sauvage et naturelle de votre petite âme n'importune point les sinistres idée qui m'habitent. Réprimez vos vains instincts d'insouciance, et chargez plutôt votre âme inconséquente avec le plomb quotidien des adultes congrus que nous sommes.

Mettez aux fers de la froide raison les élans ridicules de votre coeur imparfait (à dix ans, on n'est rien du tout Mademoiselle!), et psalmodiez plutôt avec moi le chant ténébreux, lugubre et cafardeux des morts. Louez à ma suite les personnages des vieux tableaux de ma cellule monacale, dont les mines sobres et graves, immuables, et recouvertes par la poussière silencieuse des ans, paraissent se lamenter sur le sort du monde.

Entendez-vous s'élever dans la nuit glacée le son caverneux de cette voix qui se lamente ? C'est le digne chant que j'adresse aux morts. A présent j'appartiens au peuple d'outre-tombe, puisque la joie s'est enfuie de mon coeur de chair. J'aime le roc, le froid et les reflets du marbre noir. Je suis une âme en peine, un croque mort, un fossoyeur, un oiseau de mauvais augure, et je croasse avec mes frères qui hantent les cimetières, je veux parler de ces noirs corbeaux à la voix rocailleuse. Suivez-moi sur ces chemins de carême Mademoiselle ma nièce, oubliez la joie inutile qui habite votre coeur décidément si vain. Revêtez la robe sombre des cloîtrées et retirez-vous de ce monde de cris, de rires, de couleurs et de lumières dans lequel vous vous agitez sans fruit. Choisissez d'ensevelir votre jeunesse dans l'ombre et le silence d'un couvent : c'est la suprême récompense des âmes vertueuses.

Vous avez offensé le bon goût en manifestant votre joie, votre innocence, votre nature légère. Vous savez que je n'aime pas les enfants, que je déteste les agitations festives, que j'abhorre les éclats de rires, surtout lorsqu'ils émanent de créatures telles que vous : puériles, indignes, parasitaires. Vous auriez dû être plus en phase avec mon tempérament taciturne pour me mieux toucher. Ce langage trop joyeux que vous avez choisi pour me parler ne me sied pas, sachez-le. Je crains que vos juvéniles prétentions au bonheur ne m'aient contaminé. Je tremble de devenir joyeux, Mademoiselle. La joie est source d'indignité. Seules la tristesse, l'austérité, la rigueur sont dignes de l'Homme et n'offensent point le Ciel. Homo est magnum, Mademoiselle. Mettez-vous bien ça dans la tête. Pueril est "Nada". Je vous dirai encore : digne et noble "perinde ac cadaver".

Méditez bien là-dessus Mademoiselle. Nous nous reverrons ensuite, et je gage que vous aurez bien vite perdu votre sourire !

Vous avez tort de croire que je demeure toujours sous le toit séculaire de la "Targerie" en compagnie des infortunées araignées. D'une part je ne suis plus à la "Targerie. D'autre part, sachez que la suie accumulée durant cinquante années et plus à la "Targerie", a chassé depuis belle lurette les monstres arachnides qui semblent tant épouvanter les gamines de votre espèce.

Je raille vos joies infantiles. Vous n'êtes qu'une infirme du coeur. Vous ne savez point aimer Mademoiselle. Vous n'avez qu'une dizaine d'ans, ne l'oubliez pas. Cela n'est rien du tout, ou si peu de chose... Les enfants sont incapables d'amour. L'espèce puérile est une espèce inférieure tout juste bonne à être conduite au bâton, comme on fait avec les ânes. Ah ! Vous dirais-je Mademoiselle de quelle manière j'aimerais que soient éduquées les créatures de votre espèce, je veux parler de ces germes d'humains que sont les enfants, ces morveux et morveuses qui ne cessent de m'importuner dans mes méditations de grande personne !

Allez, recueillez-vous, méditez, faites pénitence et pleurez sur l'infortune du monde. Je m'en retourne à mon caveau qui me tient d'alcôve, puisque la joie est définitivement partie de mon coeur.

Votre parent.

63 - Un mariage arrangé pour ma nièce

Mademoiselle,

Soyez heureuse, car demain vous serez riche d'un hyménée de choix. En effet, nous avons trouvé pour vous un excellent parti. Les noces auront lieu au manoir de votre futur époux, j'ai nommé Monsieur de la Roche-Maillard. Un élément de la meilleure noblesse.

Ce digne et sage homme n'a plus d'âge, et il porte la canne avec grande et noble prestance. Il vous donnera, je l'espère malgré son grand âge, quelques aimables héritiers. Vous serez séduite, je crois, par une petite singularité, un petit rien, quelque chose qui précisément apporte un certain charme à sa personne : c'est la bosse qu'il porte sur le dos. Son panache en quelque sorte. Il en est particulièrement fier. Et vous tâcherez d'être digne de cet objet de gloire.

Certes vous trouverez sans doute quelque reproche à faire à son aspect physique. Car enfin je présage que ses traits vous déplairont, vous êtes si jeune et votre jugement est si léger, si vain. Vous me rétorquerez certainement que cet homme n'a point les charmes de votre ami Pierre, celui que vous semblez aimer en secret (oubliez-le plutôt, vous ferez mieux, je vous assure !). Il n'a point ces charmes juvéniles qui trouvent grâce à vos yeux, c'est vrai. Et pour être honnête avec vous Mademoiselle, je dirais même que cet homme est laid, fort laid. Mais il faut vous dire, et vous me trouverez encore honnête avec vous ici, que cet homme est riche, fort riche.

De plus Monsieur de la Roche-Maillard est un noble vieillard plein de sagesse : son or n'a point été dilapidé sans fruit dans des fêtes et des ripailles, comme le font les jeunes inconséquents qui ont l'âge de votre ami Pierre (lequel n'a pas même un début de fortune.).

Malgré son immense fortune Monsieur de la Roche-Maillard est sobre, voire avaricieux. Et c'est là une grande qualité. De fait vous n'aurez point souvent l'occasion de danser en sa compagnie. Votre toilette demeurera sobre et austère, par souci d'économie. Vous serez à la fois sa servante et la maîtresse de maison. Vous vous occuperez des chevaux vous-même, étant donné la fragilité de sa santé. Cet homme est de grand âge, je vous le rappelle.

Bref, en tout lieu et toute occasion vous porterez avec fierté, sévérité et reconnaissance son nom.

Demain l'on vous appellera Madame de la Roche-Maillard. J'attends vos mercis en retour à cette bonne nouvelle. Au revoir, Mademoiselle.

64 - Vieux, laid, bossu, vicieux, vérolé, mais riche

Ma nièce,

J'ai reçu avec tiédeur vos marques de respect familial à mon égard lors de mon séjour chez vos parents. Désormais, j'entends que vous manifestiez plus d'austérité, de rigueur, voire une froideur de bon aloi lorsque vous serez en représentation à mes côtés. Je ne saurais accepter plus longuement ces espèces de familiarités dont vous semblez avoir recours pour me mieux saluer, et par la même occasion me mal rendre hommage.

Ca n'est pas là une façon estimable de saluer un parent qui vient vous rendre visite, impertinente demoiselle ! Lors de notre prochaine entrevue vous vous empresserez de baisser le front et vous contiendrez avec dignité. Vous me ferez une cérémonieuse salutation, les yeux pieusement baissés vers mes pieds. En toutes circonstances vous manifesterez un absolu respect à l'endroit de ma personne. Vous serez recueillie, discrète, docile et pudique en ma présence. J'exigerai de vous un parfait silence, une fois achevées les politesses d'usage.

Vous vous effacerez avec humilité lorsque je m'entretiendrai avec vos parents sur le sort prochain que nous avons choisi pour vous. Vous vaquerez à de saines et chastes occupations telles que la prière, l'aumône, l'étude ou bien la pénitence, ou que sais-je encore ? Bref, vous vous ferez oublier le temps que l'on statue sur votre destinée.

A ce titre je me dois de vous mettre déjà dans la confidence, mademoiselle. Nous avons pour vous trouvé un bon parti. Un vieil homme de bonne famille. Il vous faudra vous occuper de sa santé chancelante. C'est, en effet, un vieillard impotent. Certes il n'offre pas l'apparence de la beauté et de la jeunesse, mais si la verdeur l'a quitté depuis bien des lustres, il n'en a pas moins gagné en expérience et sagesse. Il vous apprendra mieux la vie qu' un godelureau sans cervelle. Il porte avec noblesse, et non sans une certaine élégance, une jolie bosse sur le dos. Il a du charisme ce vieil homme, à n'en point douter. Remerciez donc le Ciel mademoiselle car vous avez de la chance. Beaucoup de chance. Ce noble vieillard tousse un peu, et il tousse gras. C'est normal vu son grand âge, et vous le lui pardonnerez de bon cœur. Il a quelques petits vices dit-on. Rien de bien criminel : il a un faible pour le tabac (il prise fort), le manger (la bouillie et les caramels mous sont ses mets favoris) et la compagnie des enfants de votre espèce. Douces et innocentes passions du vieil âge, à la vérité !

Quelques mauvaises langues prétendent que cet homme est laid, boiteux, syphilitique, vérolé et que sa bosse a poussé sur le fumier de ses vices.

Il boîte, je vous l'accorde volontiers. Il est laid ? Peut-être bien. Mais pour le reste... Mensonges de jeunes vierges jalouses ne n'avoir point été choisies par ce charmant Monsieur ! Une chose encore, la plus importante de toutes : cet homme est riche.

Très riche.

Comme vous serez heureuse sous son autorité matrimoniale ! Remerciez vos parents et moi-même de vous avoir trouvé si flatteur parti.

Les noces auront lieu dès que vous serez réglée.

P.S.

Oubliez donc dès aujourd'hui votre ami Pierre, celui que vous aimez en secret mais qui n'a point de fortune.


65 - Un amour de vieillard

Ma nièce,

Chose curieuse, vous appartenez à l'espèce haïssable des gens puérils et cependant vous inspirez à Monsieur de la Roche-Maillard de bien doux émois, de sincères transports. N'importe ! C'est son affaire. Et ma foi s'il aime, ce noble vieillard, la compagnie des niaises de votre genre, ça le regarde. Sachez surtout qu'il offre à Monsieur et Madame vos parents une belle dot si vous consentez à lui présenter votre main. Aussi je ne saurais trop vous recommander la plus parfaite soumission en cette heure solennelle. Il en va de la fortune de vos proches.

Je ne doute pas un instant de votre sens de l'honneur, Mademoiselle ma nièce, et en ces circonstances plus qu'en toutes autres, je sais que vous ne dérogerez ni au devoir ni à l'amour. Monsieur de la Roche-Maillard vous porte une indéfectible amitié, et je vous préviens qu'en aucune manière vous ne devez le décevoir : la dot s'élève à plus de mille écus.

Vous savez que nous ne voulons que votre bonheur, Mademoiselle, et rien que votre bonheur. Nous connaissons tous vos vertus, vos qualités, vos avantages, et Monsieur de la Roche-Maillard les connaît également. Aussi je vous exhorte à nous prouver votre docilité, votre honnêteté, votre amour filial. D'ailleurs comment une jeune fille intelligente comme vous pourrait se rebeller devant un sort si enviable ? Quelle chance vous avez là ! Monsieur de la Roche-Maillard a non seulement le bel âge de l'expérience et de la sagesse, mais encore celui de toutes les saines paresses : avec cet époux exemplaire vous ne risquerez ni de vous aventurer à confectionner d'improbables mets sophistiqués, vu qu'il est édenté et qu'il ne supporte que la bouillie, ni à vous affairer le matin à sa toilette, vu qu'il est parfaitement chauve.

Vous aurez seulement à l'aider, de temps à autre, à se nettoyer le séant. Il faut vous dire que ce brave homme si peu valide mais si aimant souffre non seulement d'incontinences, mais également de coliques. Mais ne sont-ce point là d'innocents et naturels effets du noble âge ? Ce sont même des choses charmantes, à y bien regarder. En effet, avec ses quotidiennes bouillies, sa totale calvitie et ses oublis intempestifs, vous aurez l'impression de vous occuper d'un nouveau-né. Et comme cet aimable vieillard n'a pas les moyens d'engendrer le moindre fruit, vous trouverez là une avantageuse consolation de n'avoir point d'enfant.

Etes-vous heureuse, ma nièce ? Vous pleurerez de joie, j'en suis sûr, à la lecture de ces mots. Remerciez donc votre bonne étoile Mademoiselle. Vous donnerez donc dès ce soir votre accord à ce prétendant, et demain vous comblerez enfin vos parents : ils seront fiers, honorés, heureux pour vous.

Et riches.

66 - Éloge et défense de la laideur

Voici, fidèlement rapportés par mon imagination, quelques propos échangés entre une femme laide et son amant.

- Je me sais laide, et cette laideur est une offense à l'amour. Vous ne pouvez m'aimer. Votre regard doux sur moi me rend honteuse. Votre tendresse a quelque chose de malsain. Il n'est pas séant que vous vous fassiez l'amant de la laideur. Vous choquez la morale, l'honnêteté, le ciel et tous ses anges. Vous me faites rougir, et j'ai envie de pleurer. Je suis laide, je le sais, vous le savez, et c'est un crime de m'aimer ainsi que vous le faites. Le monde est plein de filles jolies qui ne demandent qu'à être chantées, louées, honorées selon les lois ordinaires de l'amour, ne perdez donc pas votre temps et votre jeunesse avec celles qui, comme moi, ne méritent de recevoir aucune fleur de la Terre. Je suis laide, laide, laide, et je vous vous interdis de m'aimer ! Cet amour que vous m'avouez m'est une douleur, une peine, non un bien. Ne m'aimez pas, laissez-moi en paix, seule avec ma laideur comme avant, seule comme je l'ai toujours été. Voilà mon sort, ma juste condition, la volonté du ciel et des hommes. Ne troublez pas l'ordre naturel des choses. Vous faites mal, lors même que vous croyez bien faire.

- Vous êtes laide et je vous aime. En esthète j'admire vos traits ingrats. Mon coeur a choisi pour battre, enfin, le paysage austère de votre physionomie. Lassé des molles merveilles qui ont fini par émousser sa sensibilité, il a élu votre tête déchue qui pleure aujourd'hui de se savoir aimée. Il s'est soudainement ému pour votre front sans éclat qui n'est qu'un désert de pierres, de roc, de cailloux. Et ce désert a séché votre regard, durci vos lèvres, tari vos sourires : votre face est un mets bien amer, mais c'est pour moi un miel nouveau. Je goûte comme un Christ au vin âpre de la misère, et une étrange ivresse me gagne. Votre détresse est une croix qu'il m'est doux de porter. Votre disgrâce a aussi la saveur de la brume, la dureté des glaces, la sévérité du gel. Votre visage est pareil à une montagne rude et magnifique, froide et chaste, lointaine et silencieuse : je le contemple et je m'élève.

- Vous êtes fou. Ma pauvre couronne ne mérite pas d'être si bien servie. Je ne suis que la reine des servantes, la princesse de la poussière, l'aimée des cailloux. Mon pouvoir ne s'étend point au-delà des ronces et des orties qui m'entourent. Je me sais si laide que je n'accepte de compliments que de la part des pierres. Elles sont muettes et leur éloquence me va toujours droit au cœur. Je sais qu'elles disent vrai. Tandis que vous, vous me dites des choses que je ne puis croire. Vous mentez. Allez plutôt rejoindre vos jolies donzelles, au moins elles vous croiront quand vous leur chanterez leurs grâces si sûres. Vous ne mentirez pas lorsque vous leur tiendrez galant discours. Je suis laide, oubliez-moi.

- Vous êtes laide, et vos traits rendent votre coeur humble, fragile, sensible. Vous le briser est chose si aisée qu'il me faut prendre mille précautions pour le manier, de crainte de le blesser sans le vouloir. Vos sœurs plus jolies sont armées de cuirasses, et je n'ai pas besoin de tant de manières pour les convaincre de servir la cause amoureuse : vite conquises, elles ne laissent pas le temps au cœur de s'épancher comme il le faudrait. Sur quelques accords de musique, sur quelques pas de danse l'affaire est entendue. Et la chose est si commune à leurs yeux, que l'hyménée qui s'ensuit est vidé d'émoi. Pour ces filles jolies l'amour est une chose bien banale. On les séduit sans manière, sans dentelle ni beaux discours. On les aime avec des piètres sentiments qui s'évanouissent dès l'aube. Ce ne sont que des étoiles filantes. Elles ont l'éclat de la beauté, mais de racines point. Leur beauté leur confère une futilité toute particulière. Et s'il est vrai que les attraits ostensibles d'une vierge facile sont toujours flatteurs pour l'heureux amant qui les conquiert, il est également vrai que les fleurs les plus belles paraissent aussi les plus superficielles. Sachez donc que la vanité sied mieux à la beauté plutôt qu'à la modestie.

- Ainsi je trouve grâce à vos yeux aujourd'hui, parce que je n'ai pas l'heur d'être de cette race des beautés radieuses que vantent tellement les hommes de votre espèce, ordinairement. Je veux bien croire à la ferveur de votre prière, au singulier émoi de votre cœur, puisque vous voulez tant que j'en sois convaincue. Je ne sais pourtant si votre galante dévotion est une insulte ou un réel éloge. A moins que cela ne soit que pure folie, mon ami.

- Croyez plutôt en la sincérité, l'honnêteté, l'humilité de mon cœur aimant. Et oubliez donc au nom de cet amour -si particulier j'en conviens- les rigueurs de la simple raison. Je vous aime ainsi que vous êtes, parce que vous êtes ainsi.

67 - Une lettre odieuse mais sincère

Mademoiselle,

Soit. Vous n'êtes donc point capable d'aimer dans la clarté d'un coeur habité par l’innocence. Il vous faut intriguer méchamment pour satisfaire votre besoin de déplaire. Comme si votre physique peu flatteur n'y pouvait pas suffire à lui seul, il vous faut encore jouer les acariâtres rosières pour me mieux souffleter… Apprenez, triste pucelle, que votre première gifle reçue fut celle de votre mine sinistre, le jour où elle m'apparut sous la lumière crue de la vérité. Magistrale et sans appel, cette gifle-là résonne durablement. J'en porte les stigmates : votre nom me fait horreur. Il me fait songer à la négation de l'amour et à la misère qui s'y rapporte.

Je ne vous aime pas Mademoiselle. Je me gausse de vous, je ris de votre infortune qui ne me rappelle que trop ma félicité. Oui, je me moque. Je foule d'un pied hautain votre coeur misérable de fille misérable. Je crache avec dédain sur votre front d'amante déchue qui n'a pas eu l'heur de me plaire, moi qui ne cherche en vérité que l'assouvissement de mes instincts de débauché. Vous aviez cru à la tendresse de mon cœur en votre direction, Mademoiselle. Détrompez-vous dès aujourd'hui : je ne convoitais que votre pauvre hymen, n'étais en quête que d'un vil, passager émoi charnel. Je ne cherchais qu'une sombre ivresse entre vos flancs. Accessoirement, à défaut d'accéder à votre alcôve, avec calcul j'ai cherché à atteindre votre âme de vierge à travers mes lettres d'amour. Pour déflorer votre coeur, par dépit de n'avoir pas pu déchirer votre hymen.

Je ne vous aime pas. Vous n'êtes qu'une pauvre dupe, un jouet entre mes mains, une poupée de chiffon malléable, un pantin que je puis casser selon mon gré. Souffrez donc tout votre soûl, pitoyable chose que vous êtes ! Je ne serai pas là pour récolter vos sanglots stériles.

68 - Mon identité poétique

Sous les scintillements de la nuit constellée d'étoiles, je caracole sur ma cavale. La neige soulevée par les sabots de l'animal tourbillonne dans son sillage, entraînée par le vent. La poudre fine projetée en l'air m'enveloppe en formant tout autour de moi des myriades d'éclats argentés et semble se confondre avec les poussières célestes qui luisent au-dessus la sainte et éternelle Russie.

Je suis le fils de la toundra, l'enfant des neiges, l'héritier des plaines glacées, le chantre des pays d'hiver, le passager des terres gelées. Je n'ai pas vraiment de nom. Je suis l'originel Cosaque. Depuis des siècles je sillonne les étendues sans fin d'un monde d'écume et de solitude, ainsi qu'un immortel cavalier. Je suis le reflet incarné des impérissables légendes, le danseur des blancs espaces, et c'est pourquoi je ne puis mourir. Heureux, j'erre à n'en plus finir dans cet univers immaculé, franchissant lacs gelés, traversant forêts, parcourant steppes à la poursuite de l'horizon, toujours en quête de chevauchées fantastiques, ivre de vent, de neige et d'étoiles.

Chaque nuit ma monture m'emporte vers les neiges lointaines inconnues des hommes. Je n'ai pas d'autre but, d'autre joie, d'autre destin que de chevaucher dans les immensités silencieuses et gelées. Astre fabuleux des paysages givrés, je ne mange pas, ne bois pas, ne dors jamais et suis plus vivant qu'un prince. Je puise mes forces dans la contemplation des grands froids.

Je suis l'Ange de la Russie.

69 - Torpeur cadavérique

Je n'entendrai pas sonner le glas. Et pour cause : c'est pour moi qu'il résonnera dans la campagne affligée, par une triste journée de pluie. Vous serez là, recueillie auprès de ma dépouille déposée dans l'humble église. Un cierge brûlera à ma droite. L'odeur d'encens embaumera les lieux. Vos larmes claires se répandront au bord du linceul tandis que la fumée s'élèvera dans la fraîcheur de l'édifice. Le silence sera la musique mortuaire de ce deuil et votre chagrin, infini mais pudique, sera l'hymne que vous me dédierez.

Mon corps étendu narguera votre inutile amour. Cet amour impuissant à me faire revenir à la vie. Mon visage émacié par le masque étrangement serein de la Mort interrogera les fresques décrépites et sans valeur du plafond de l'église. Vous serez là, questionnant en vain ce cadavre glacé, pétrifié. Vous me prendrez la main, et vous étonnerez qu'elle soit froide dans votre main chaude. Elle demeurera sans réponse à votre étreinte, si peu accoutumée que vous serez à l'idée de la mort, de MA mort...

Oui, ce sera mon corps, mon cadavre, ma dépouille. Je serai là, gisant. Sans me plaindre, sans révolte, sans peur, sans plus de haine ni d'amour. Vous chercherez à comprendre, mais il n'y aura rien à comprendre. Rien que le fait de ma mort. Je serai effectivement mort, bel et bien mort. Aussi mort que le sont les pierres, les tombes et les ruines. Vous pourrez pleurer, prier, défier le Ciel et tous ses anges, rien n'y pourra faire : mon corps s'en ira en poussière et nul ne le verra plus jamais. Il sera déjà sur le chemin d'un irréversible anéantissement.

En signe d'adieu, vous passerez vos doigts contre mon visage de pierre. Il demeurera impassible, indifférent à votre caresse. Mort. Je serai mort, mon cadavre en sera la preuve. Je serai dans le même état que les statues de plâtre peintes de cette modeste église de campagne. Inerte comme un objet, comme un caillou, comme du sable anonyme. Sans vie, sans nom, sans chaleur.

Le cierge continuera à brûler en silence dans l'église devenue sombre vers le soir. Dehors la pluie de mars, triste, lente, lancinante, tombera d'un ciel plombé. Nulle âme ne s'attardera dans les rues en ce jour de deuil, en cette saison de mort. Vous serez seule dans l'église avec cette chose vidée de vie. Parfois le cierge jettera de pâles lueurs contre mon visage endormi, et ces reflets de flamme lui donneront l'illusion d'être en vie.

Vous vous attarderez un peu sur ces éclairs dérisoires, cherchant un réconfort, un signe, un sens, une explication. Mais la flamme mouvante du cierge continuera à brûler en vain et son humble clarté, dénuée de sens, glissera sur mon visage avant d'aller s'accrocher ailleurs.

Vous finirez par comprendre que je suis réellement mort. Vous sortirez de l'église, un cercueil dans l'âme. Vous vous retrouverez seule dehors sous une pluie maussade. Et je ne serai plus là pour vous aimer. Je ne serais plus avec vous. Plus jamais. Et vous serez seule, seule. Et vous me chercherez. Et vous ne me trouverez pas. Jamais. Parce que je serai mort. Mort. Mort. Définitivement. A tout jamais.

70 - Pauvre mais belle

Vous êtes belle lorsque sur votre visage souffle le vent, qu'il déclot vos lèvres, fait trembler vos cils et agite vos frisures, comme s'il était votre amant, fou et caressant. Vous êtes belle à mes yeux, vous la dédaignée des riches, des citadins et des cœurs sédentaires. Vous avez la chevelure italienne, le regard ombreux et la bouche tentatrice. Vous êtes née de la terre, avec l'éclat du marbre sur la peau, la senteur des bois dans les cheveux, la pluie sur le front et un peu d'or dans le cœur. Et si vos pieds sont nus, c'est que votre pas demeure libre, sans attache. Libre comme vous, fille des nuages, enfant du soleil, fleur nomade.

Je ne rougis point de votre habit déchiré, ni de vos chevilles cendreuses, ni de votre coiffure de broussaille qui se délie sous la brise, et qui met tant de grâce sur vos traits insouciants... On vous appelle va-nu-pieds, voleuse ou bien souillon.

Pourtant vous avez la beauté naturelle de l'ange. Vous chantez de chemin en chemin, le cœur aussi léger que l'air, et dites la bonne aventure avec plein d'ingénuité dans l’œil, un sourire d'enfant sur les lèvres. Vous êtes l'Esméralda incarnée : danseuse vagabonde, créature errante, ballerine sans semelle, cavalière des pavés. Vous êtes liberté, danse, poussière, cheveux fous, chants lancés aux nues, airs perdus dans l'azur et rires emportés par le vent. Eternel baladin, vous êtes l'enfant de la Bohème.

Vous êtes passée, et je n'ai jamais pu vous oublier.